Yegg n°90 jui/aoû 2020
Yegg n°90 jui/aoû 2020
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°90 de jui/aoû 2020

  • Périodicité : mensuel

  • Editeur : Yegg Magazine

  • Format : (170 x 240) mm

  • Nombre de pages : 42

  • Taille du fichier PDF : 12,2 Mo

  • Dans ce numéro : décryptage, l'urgence féministe.

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

Dans ce numéro...
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CÉLIAN RAMIS
Celle qui n’oublie pas, ne pardonne pas Elle est une figure emblématique de la lutte contre les violences policières, contre le racisme et plus largement pour la justice sociale. Depuis des années. Parce qu’elle ne lâche pas. Depuis fin 2015, Awa Gueye se bat pour la vérité et la justice dans l’affaire de la mort de Babacar Gueye, son frère, tué de 5 balles dans la nuit du 2 au 3 décembre par un policier de la brigade anti-criminalité, à Rennes. « J’étais à l’école de mon fils quand j’ai appris. Je suis tombée dans les pommes, je suis allée à l’hôpital. En sortant, je suis partie au commissariat, j’ai été interrogée. Des policiers sont venus chez moi pour chercher la carte d’identité de Babacar, ils ont sorti des gants, ont fouillé, ils ont pris tous les papiers de mon frère. Ils me faisaient du chantage, ils ne voulaient pas me dire où était son corps. Et moi, je voulais le trouver. Quand j’ai demandé combien de balles il avait reçu, un policier s’est énervé sur moi. C’était vraiment dur pour moi. », explique Awa Gueye, au début de notre rencontre. On lui a arraché la moitié de sa vie, cette nuit-là. En rentrant du Sénégal, où elle a rapatrié le corps, elle trouve un dossier classé sans suite, l’avocat n’a pas déposé la plainte « comme il le fallait ». Entre temps, le consul a envoyé un courrier à la communauté sénégalaise de Rennes incitant à ne pas se rendre au rassemblement organisé en hommage à Babacar  : « Quand je suis revenue ici, j’ai décidé de me battre à ma façon, pour Babacar mais aussi pour tous les autres. La liste est longue. Mon frère, il a reçu 5 balles et avant, il a été menotté. C’est beaucoup et c’est classique. Les policiers ont décidé de l’assassiner. C’est du racisme. Depuis le début, je le dis, c’est du racisme d’État. C’est la vérité que je sors de ma bouche. » Cela fait bientôt cinq ans qu’Awa Gueye se bat. Quasiment seule. Avec le soutien indéfectible du Collectif Justice et Vérité pour Babacar Gueye. Elle n’a pas cru en la légitime défense. Elle a demandé un croisement entre l’expertise balistique et la médecine légale. Résultat  : « Aucune balle n’arrive de face. » Aujourd’hui, Awa réclame la reconstitution des faits. Pas en petit comité, non. Avec la participation de toutes les personnes présentes à ce momentlà. « On continue de chercher des détails sur la mort de mon frère. J’attends vraiment la date et j’espère qu’il y aura du monde. », souligne-t-elle, avec force. Face aux avocat-e-s, elle a dû insister, sans être prise au sérieux. « J’ai changé 5 fois. Maintenant, j’ai 2 avocates. Je n’ai pas eu le choix, j’ai dû changer parce qu’ils ne me respectaient pas. Je ne sais pas lire, je ne sais pas écrire le français, ce n’est pas ma langue, je ne suis pas allée à l’école ici. Je suis une femme très intelligente. », explique-t-elle. Elle rigole  : « Mon chef, il a dit que j’étais capable de devenir cheffe. Il n’arrive pas à me suivre ! » Débordante d’énergie, elle précise  : « Je fais beaucoup de choses ! » Son moteur  : « Que justice soit faite. Il y a beaucoup de victimes. Blanches ou noires, on lutte pour dire stop. Un policier tue et il est encore en activité ? Celui qui a tué mon frère a été muté. Beaucoup de familles restent à terre, subissent des pressions par la police, la justice, etc. Moi, j’ai pas peur. C’est pas moi qui ai assassiné mon frère. » Quand elle n’est pas en première ligne des marches pour la justice et la vérité pour Babacar, pour Adama, pour Allan et bien d’autres victimes du racisme d’Etat, la militante s’engage auprès des mouvements féministes, pour les droits des sans papiers, des aides soignantes ou encore des gilets jaunes. Pour elle, c’est « normal de les soutenir. Il y a des personnes blessé-e-s, qui sont matraqué-e-s juste parce qu’elles demandent des droits dans leur propre pays. Ça me fait mal et ça me rend triste. Quand on est étranger-es, on subit des violences policières et personne n’écoute. On vient ici, on ne nous considère pas, on nous tue et on nous écrase. Il ne faudrait pas oublier que c’est grâce à l’Afrique que la France a avancé. On est des frères et des sœurs mais l’Etat est vraiment raciste, on n’a pas mérité ça. Ça fait mal au cœur. La police, elle nous tue, elle ne nous protège pas. » C’est certain, Awa Gueye n’oublie pas et ne pardonne pas. Surtout, elle lutte avec tout ce qu’elle est et tout ce qu’elle a. De la détermination, de la matière grise et de l’énergie. Pour une justice sociale, anti-raciste et anti-sexiste. Pour tou-te-s. I MARINE COMBE Juillet - Août 2020/yeggmag.fr/03



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