toujours les enfants, comme la camériste, redoutaient de voir surgir devant eux. Dick finit par prendre un intérêt véritable à la recherche de cet être dont personne ne savait rien et que tous autour de lui redoutaient. Habilement, se souvenant des résultats hettreux de ses débuts dans la carrière de policier, il se mit à la recherche de l'étranger, s'appliqua d'abord à le rencontrer, mais on eût dit qu'averti par un secret pressentiment, l'autre était résolu à se dérober. Alors le mari de Thérèse prit un autre système. Avec un tact, une prudence dignes des plus avisés détectives, il commença par interroger les voisins, puis les fournisseurs. Il ne tarda pas à apprendre qu'à cinq cents mètres de sa propre villa et dans un endroit plus désert, habitait. un homme d'allures bizarres, sur le compte duquel personne ne pouvait rien dire, car cet homme vivait en sauvage, n'avait pas même de domestique et ne sortait guère de sa maison que pour faire quelques achats dans la région, ou se rendre, toujours seul, dans la forêt. Il semblait jouir d'une certaine aisance, payait comptant les moindres emplettes et sa villa était louée pour dix ans A force de subtilité, Dick arriva à savoir le nom de l'homme. Il prétendait s'appeler Victor Bertrand. mais de vagues soupçons planaient sur sa véritable identité. Bien qu'il eût un jour déclaré à la buraliste qu'il était originaire du - Nord, il gardait un terrible accent méridional, et comme la buraliste elle-même avait vu le jour à Marseille. elle déclarait qu'elle ne pouvait se tromper sur le lieu de naissance de Bertrand. S'il n'est pas de mon pays de Provence. il est probable qu'il y a longtemps vécu car on ne me trompe pas sur le parler de chez moi, disait-elle, dans un large sourire, montrant ses dents éclatantes. Tout cela est bien curieux. pens'a Dick. Insensiblement, ses aspirations policières se réveillèrent. A l'étude, ses collègues remarquèrent qu'il devenait extraordinairement distrait depuis quelque temps. Il n'avait plus le même goût aux choses de son métier, devait souvent être rappelé à l'ordre par son patron, qui cependant continuait à se montrer plein d'une indulgence paternelle pour ce grand garçon, dont mieux que personne il appréciait les indisc.utables qualités. Un matin, pourtant, il se décida à faire vomparaffre son clerc devant lui. - Mon cher garçon, je tiens à vous dire que votre lattitude m'inquiète. - Pourquoi, Maitre. N'ai-je pas constamment rempli les tâches que vous attendiez de moi ?... - Parfaitement, au contraire, l'étude n'a rien à vous reprocher. - Alors ?... - Alors mon bon Frédéric j'ai idée que le détective qui sommeille en vous est en train de suivre une nouvelle piste et qu'un jour ou l'autre vous allez encore me demander un nouveau congé. — Peut-être ! En tout cas, mon cher Maître, soyez certain que je ne tenterai rien sans vous avoir consulté. Prenez garde ; à force de vous amuser à ce petit jeu, il pourrait bien vous en cuire. Si une nécessité absolue ne vous oblige pas à vous mêler des affaires des autres, restez tranquille. Vous avez une femme exquise, -de charmants enfants, une jolie tortune, pourquoi vous tourmenter d'autre chose et troubler une vie que bien des gens vous envieraient ? Dick sentait toute la sagesse de ces paroles. Oui, le notaire avait raison, mais comment cet homme sédentaire pour qui le monde commençait et finissait au milieu de ses dossiers eût-il compris ce besoin d'aventures, cette curiosité ardente qui guide la conduite de certains êtres et représente la joie suprême de ceux qui sont nés policiers. Depuis que Dick avait connu l'existence de l'homme de la forêt, une sorte d'instinct le poussait à reprendre ses recherches, à lui faire entreprendre ses investigations autour du mystère qu'il Le mystère existait, il en avait la conviction et en fut encore plus persuadé quand Rose lui avoua qu'elle aussi avait enquêté dans le voisinage. Un à un les fournisseurs avaient parlé. Elle savait maintenant que celui dont toute la maison s'occupait avait reçu le nom de l'Homme mystérieux. Dick pensa : — Il est heureux ma foi qu'aucun crime ne soit commis dans notre région. Tous les soupçons se porteraient immédiatement sur ce personnage. L'OMBRE QUI RODE De plus en plus, s'ancrait. en lui la pensée que l'inconnu se cachait dans ce coin de France, qu'il n'y était venu que pour se dérober aux.griffes de la justice. — J'en aurai le coeur net, décida-t-il. Sans en rien dire à Thérèse, il commença par étudier les allées et venues de l'étrange voisin. Il apprit qu'il recevait régulièrement des lettres, soit de Provence, soit de Dordogne. Et voici que dans l'esprit subtil de Dick, un soupçon aussitôt naquit. Thérèse possédait dans ces deux contrées des parents qui jadis avaient tout tenté pour lui ravir l'héritage que lui avait laissé un oncle établi au Canada. -Existait-il une corrélation entre ces faits ? L'inconnu faisait-il partie de la bande rapace, attachée à la ruine de Thérèse ?... Ah ! se disait Dubois, si je parvenais seulement à avoir entre les mains une de ces lettres... Mais rien n'autorisait le jeune homme à s'en emparer. Qu'avait-on à reprocher à celui dont pour l'instant toute la faute semblait. consister à refuser de fréquenter ses semblables ? N'était-il pas libre, d'organiser son existence à sa guise, cet homme, sur lequel aucun soupçon valable ne pesait. Vraiment je suis fou, se disait parfois Dick, quand son imagination le tourmentait trop, cet être ne m'a rien fait, qu'ai-je donc contre lui, quelle force nie pousse à m'occuper de son passé ?... Pourtant le démon qui était en lui ne s'endormait point, il se sentait repris de la même fièvre qui, quelques années plus tôt, l'avait enflammé alors qu'il recherchait la trace des misérables résolus à ruiner Thérèse. Une fois encore le hasard vint à son aide. C'était le soir. Contrairement à son habitude, il avait laissé sa voiture au garage et. revenait par le train. Comme il marchait sur la route conduisant, de la gare à la villa, il aperçut l'homme sortant du bureau de poste et pénétrant dans un sentier de la forêt. Il tenait en mains une lettre. Ne se sachant pas observé il se hâta de déchirer l'enveloppe. Comme il dépliait la feuille, un brusque coup de vent emporta son chapeau. Tandis qu'il se baissait pour le ramasser. une rafale plus violente lui arracha des doigts la précieuse lettre et le papier s'envola. Avant qu'il ait pu la rattraper, Dick plus jeune, plus agile aussi avait bondi et s'était emparé de la missive. Il s'empressa de la rendre au destinataire. mais pas assez vite pourtant pour que les premières lignes sur lesquelles il venait de jeter les yeux ne lui eussent fourni une partie des renseignements qu'il cherchait. Il avait lu l'entête de la lettre, savait à présent que l'expéditeur écrivait d'Aix-en- Provence, mais d'autres mots l'avaient frappé.l.a lettre en effet commençait ainsi : - Mon cher Victor, Inutile de menacer. Vous ne pouvez rien contre nous et nous pouvons tout contre vous-même. Le reste avait échappé à Dick qui ne pouvait prendre le temps de lire davantage, mais pour l'instant le peu qu'il avait vu suffisait — Plus de doute, se dit-il, cet homme est lié à la bande. J'aurai le fin mot du mystère. De cette minute, son parti fut pris. Il n'avait besoin d'aucune aide, se ferait. à nouveau détective, trouverait à confondre le coupable si véritablement, comme tout le lui faisait supposer, l'homme avait. sur la conscience quelque ancien crime, ignoré de tous. Dick, en réfléchissant, se disait : Décidément je crois que le notaire a raison, j'ai manqué ma vocation ; je sens bien que jusqu'à ce que je sois arrivé à déchirer le voile de cette existence, je n'aurai plus une minute de tranquillité. Le lendemain, avant de se rendre à l'étude, Dubois alla rôder aux abords de la maison où vivait l'étranger. Octobre touchait à, sa fin et le jour se levait tard. Un léger brouillard couvrait la campagne. Tout semblait - dormir autour du logis. Prudemnient, Dick fit le tour de la demeure. Tous les volets demeuraient hermétiquement clos. Il semblait que la porte même ne dût jamais devoir s'ouvrir, tant l'abandon et la tristesse pesaient sur les choses. Le jardin négligé, les arbres probablement.jamais taillés, les nombreuses lézardes de la façade, tout, jusqu'au toit dont plusieurs tuiles menqua'ent disaient l'indifférence absolue du locataire pour ces lieux où il passait pourtant la meilleure partie de ses jours. Dick ne se contenta point d'une simple inspection. Avec une dextérité remarquable, s'aidant des p'eds et des mains, il parvint à grimper sur un balcon donnant. sur le derriere de la maison. Bien ne bougeait. Enhardi par sa réussite, it tenta de pousser doucement les persiennes. A sa grande surprise, elles cédèrent. Les vitres n'étaient pas fermées. Retenant son souffle, amortissant le bruit de ses pas..1 (policier improvisé traversa le vestibule, gagna les pièces les plus proches et partout trouva la même négligence, le même désordre. le même manque absolu de confort. Celui qui vivait là n'avait sans doute aucun souci d'embellir son logis ni de le rendre présentable. Dick jugea quil se terrait dans ces murs comme un animal dans sa tanière. — J'en ai vu assez pour aujourd'hui. décida-t-il, partons maintenant. avant que l'hôte ne s'éveille, je vois qu'il est facile de s'introduire chez lui. Une autre fois j'en saurai davantage. Et sûr à présent de ne rien risquer, il s'en alla aussi tranquillement qu'il était venu. Résolu à cacher cette visite à Thérèse. il se rendit à l'étude comme de coutume. mais un remords le tourmentait. Il était. trop intelligent, surtout trop au courant des articles du Code, pour ignorer qu'il se mettait dans un mauvais cas en pénétrant ainsi chez un homme auquel. jusqu'ici, personne n'avait rien à dire. Qu'on le surprit en train d'escalader le balcon de l'inconnu et c'était lui qui serait le coupable. Cependant sou Flair le guidait. Il demeurait convaincu que l'existence de l'homme mvstér eux cachait un secret terrible. LA LETTRE ÉNIGMATIQUE Après une journée d'inquiétude. il lm y put tenir, et le soir avant de quitter le bureau, il se décida à aller consulter son patron. Le notaire poussant de côté les papiers qu'il était en train de lire, posa son coude sur la table et se prépara à écouter la confession de son clerc. Dès les premiers mots prononcés par Dick, le tabellion l'arrêta. Ah ! ça, mon garçon, êtes-vous devenu Cou ?... Qu'est-ce que cette histoire ?... Savez-vous que vous venez de vous rendre coupable d'une véritable effraction ?... Et c'est vous, un homme que -je croyais sérieux, qui ne craignez pas de vous lancer dans une aventure invraisemblable. sut de simples indices. poussé seulement par vol re qx1raordirmairv int:1011 ; 114w |