DOSSIER Philosophie d’espérance Donc, Kant nous rappelle que nous ne devons nous méfier de l’espoir et des sentiers aventureux de l’espérance qui nous entraînent dans des constructions oniriques, irréalistes, dans le rêve éveillé. C’est ennuyeux à dire, mais la réalité a des semelles de plomb ! C’est-à-dire qu’à trop s’écarter de ce que vivons, de ce qui est, nous pouvons oublier de vivre le jour « ici et maintenant » ; nous pouvons donner crédit à des projets, des idéologies dont on ne connait pas les aboutissements. « Quand un espoir ment, il en tue cent » ! On risque, c’est encore Kant qui parle, d’être « intoxiqué d’avenir par abus de l’espoir ». « Il n’y a pas d’espoir sans crainte, ni de crainte sans espoir » « … et il faut nous libérer de la dépendance de l’espoir ». Du nihilisme à l’existentialisme La notion d’espérance fut mise en question par la montée du nihilisme exprimée par Nietzsche et Schopenhauer, ainsi que Kafka, Cioran, Camus, Sartre, et aussi par des événements : Verdun, Auschwitz et Hiroshima. Comme l’exprime si excellemment Anders, l’homme de l’ère nucléaire est devenu pour la première fois de son histoire, « le maître de l’apocalypse », se trouvant constamment sous l’épée 62 Kant s’est passionné pour la question de l’espérance dont on doit, selon lui, se méfier. L’esprit de l’utopie de Bloch apparaît très vite comme une protestation de la vie, dans des circonstances particulièrement difficiles. En faisant de l’espérance une « uto- pie-concrète », puis le concept central de sa trilogie, il décrit à sa manière les mésaventures de la reconquête de l’homme par lui-même : « Je suis, nous sommes. Il n’en faut pas davantage. A nous de commencer. C’est entre nos mains qu’est la vie ». L’avenir est, pour Ernst Bloch, une anticipation pour le présent. Il dévede Damoclès d’un suicide collectif qui réduirait à néant le principe d’une espérance historique tendant vers l’instauration de la Heimat. Il est également menacé depuis Auschwitz par la réduction de la Dans la Critique de la raison pure, Kant évoque « la colombe qui vole vers les cieux ». personne à une chose, à une masse que l’on peut utiliser et transformer à son gré. L’espérance humaine a été, en outre, traitée comme une belle idée sans réalité concrète, une folie, une consolation, voire le pire des maux, un cadeau empoisonné que les dieux auraient infligé à l’homme. Dans un tel contexte historique, une réaction en vue d’analyser philosophiquement la notion d’espérance humaine personnelle et historique d’un point de vue phénoménologique, anthropologique, métaphysique, éthique, politique, est née dès les années 1930 et 1940 dans les milieux germanophones et francophones, puis en discussion avec l’existentialisme. De l’espoir à l’utopie selon Bloch Cette notion d’espérance a retrouvé une nouvelle vigueur dès les années 1960 sous l’impulsion du célèbre ouvrage de six cents pages de Bloch, Le Principe Espérance.. Au XX e siècle en effet, le philosophe allemand Ernst Bloch consacre à l’espoir un ouvrage dont la parution s’étale entre 1954 et 1959. Il y étudie conjointement les notions d’espoir et d’utopie. L’analyse philosophique de l’espérance humaine qui est constitutive de l’homme en route n’a ainsi pas été « aussi inexplorée que l’Antarctique » comme le soutient Bloch, mais elle a toujours constitué un sujet de réflexion au cours de l’histoire de la pensée, bien qu’on l’ait traitée d’ordinaire en passant. |