Philosophie d’espérance DOSSIER entière, des bêtes, etc.). Mais cela ne garantit évidemment en rien la légitimité de ce que nous espérons. On peut par exemple espérer la mort prochaine d’une personne dont on a acheté le bien en viager… Deuxièmement et conjointement, comme tout sentiment, l’espoir se caractérise par l’absence de maîtrise que nous avons sur lui. Nous pouvons certes condamner l’un de nos espoirs qui nous semble, après réflexion, immoral, comme dans l’exemple précédent, mais pouvons-nous nous empêcher d’éprouver cet espoir ? En ce sens, même si, comme nous l’avons signalé plus haut, l’espoir incite parfois à l’action, nous sommes toujours passifs à l’égard de nos espoirs eux-mêmes, qui s’imposent à nous sans que nous puissions les provoquer, les modifier ou les supprimer. 58 « La fin de l’espoir est le commencement de la mort. » (Charles de Gaulle) Enfin, concernant plus précisément le « fonctionnement » de l’espoir, on peut remarquer qu’il repose toujours sur l’ignorance, notamment à l’égard de l’avenir. Ce que nous nommions confiance au début de cet article prend alors un aspect beaucoup moins enthousiasmant. Car si l’espoir peut se définir comme l’attente incertaine de la réalisation d’un bien à venir (ou de la non-réalisation d’un mal à venir), il s’accompagne inévitablement du sentiment opposé ou plus précisément symétrique, à savoir la crainte, c’est-à-dire l’attente incertaine de la réalisation d’un mal à venir (ou de la non-réalisation d’un bien à venir). Par exemple, je ne peux pas espérer avoir mon bac sans, en même temps, craindre d’être recalé. Cette nécessaire simultanéité doit donc nous amener à considérer que l’espoir n’existe jamais en luimême, mais toujours sous la forme du couple « espoir-crainte ». En grec ancien, le mot elpis, « l’espoir », signifiait aussi parfois « la crainte ». De l’espoir à l’espérance L’espoir n’est pas un grand concept philosophique au sens où il est moins récurrent que des concepts comme l’identité ou la liberté. En revanche, dans la religion et la spiritualité, il est incontournable parce qu’il est un fondement. L’espoir, que les religions nomment « espé- rance », serait ainsi le premier degré « L’espoir meurt tandis que l’espérance demeure. » de la croyance, ou peut-être de la foi. Il repose fondamentalement sur une confiance. Et l’espèce de certitude qu’il contient ne dépend pas de procédures de vérification empirique ou rationnelle, mais de cette confiance. Si l’espoir n’est pas en lui-même garant de sa moralité (et s’il existe même des espoirs immoraux), s’il s’impose à nous sans nous laisser la moindre liberté à son égard, et si enfin il repose sur l’ignorance et s’accompagne toujours de la crainte, s’ensuit-il que l’espoir est un sentiment « mauvais », à ranger du côté des faiblesses humaines, voire des vices ou des péchés ? Certains contourneront cette délicate question en faisant l’apologie non de l’espoir mais de l’espérance, vertu théologale (avec la foi et la charité) dans la tradition chrétienne. |