Les Dossiers de la Psychologie n°2 jui/aoû 2015
Les Dossiers de la Psychologie n°2 jui/aoû 2015
  • Prix facial : 6,90 €

  • Parution : n°2 de jui/aoû 2015

  • Périodicité : bimestriel

  • Editeur : Lafont Presse

  • Format : (210 x 270) mm

  • Nombre de pages : 84

  • Taille du fichier PDF : 29,6 Mo

  • Dans ce numéro : les clés du bonheur.

  • Prix de vente (PDF) : 1 €

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P H I L O S O P H I E Philosophie d’hier « Il est plus insupportable d’être toujours seul que de ne le pouvoir jamais être. » (Montaigne) commerce entre amis est une sentiment supérieur, du moins non pas l’amitié ordinaire, mais l’amitié idéale qui unit deux grandes âmes au point qu’on ne peut plus les distinguer. Il y a pour Montaigne un mystère inexplicable de son amitié avec La Boétie : « Parce que c’était lui, par ce que c’était moi. » Montaigne a mis longtemps à frapper cette formule mémorable, absente des éditions de 1580 et 1588 des Essais, lesquelles s’arrêtaient au constat de l’énigme. Il a d’abord ajouté dans la marge de l’exemplaire de Bordeaux, « parce que c’était lui », puis, dans un second temps et d’une autre encre, « parce que c’était moi ». Montaigne et La Boétie étaient prédestinés l’un à l’autre avant de se connaître. Sans doute Montaigne idéalise-t-il leur amitié. Bien plus tard, songeant manifestement à son ami, il expliquera qu’il n’aurait pas écrit les Essais s’il avait eu quelqu’un à qui écrire des lettres (I, 39, 391) - rapprochement qui explique le style familier de son livre. Pour Montaigne, l’homme a la possibilité et le pouvoir de faire naître en lui la liberté de pensée. 24 Une œuvre de vie Dans les Essais, Montaigne se dépeint lui-même, comme un sujet observé, sans artifice, pour révéler son « moi » dans son entière nudité, pour se comprendre et comprendre le monde. Il laisse libre cours à ses pensées souvent imprégnées de pessimisme, telles qu’elles se présentent à lui. Son étonnement philosophique commence avec sa devise « Que sais-je ? ». L’œuvre de Montaigne est celle d’un sceptique qui veille à bannir les doctrines intangibles et les certitudes aveugles. Il s’attaque à tous les dogmatismes, qu’ils soient religieux ou philosophiques, ne figeant jamais son scepticisme, son doute méthodique sur des certitudes ou des absolus. En pleine guerre de religions, il affiche sa tolérance et son aversion pour les luttes fratricides entre catholiques et protestants, considérant que la complexité des situations ne peut se régler par l’opposition binaire. S’il croit en Dieu, il considère que l’homme ne peut spéculer sur sa nature et qu’il doit être dégagé des croyances et des préjugés qui l’accompagnent (« Apologie de Raymond Sebond »). Pour Montaigne, l’homme a la possibilité et le pouvoir de faire naître en lui la liberté de pensée. Aux yeux de la postérité, Montaigne est uniquement l’auteur des Essais, parus comme l’on sait, en 1580, alors que leur auteur venait d’atteindre sa quarante-septième année. Comme l’explique l’écrivain et biographe Raymond Sebond, Les Essais ont été imprimés pour la première fois à Bordeaux, en 1580, chez le libraire Simon Millanges, et voici le titre de cette première édition : Essais de messire Michel, seigneur de Montaigne, chevalier de l’ordre du roi et gentilhomme ordinaire de sa chambre. Il faut remarquer le caractère aristocratique de cette énumération, et tout donne à penser que l’auteur dut faire les frais de la publication. Les Essais de 1580 ne contenaient que les deux premiers livres ; mais le succès répondit aux espérances de l’auteur et l’encouragea à compléter son œuvre. En 1588, Montaigne fit paraître une cinquième édition, non plus à Bordeaux cette fois et à ses dépens, mais à Paris, SA GRANDE ŒUVRE : « LES ESSAIS » aux frais d’Abel l’Angellier, un des riches libraires du Palais et ; pour allécher le public, l’Angellier donnait à l’ouvrage le titre suivant : Essais de Michel, seigneur de Montaigne (plus de messire cette fois, plus de chevalier de l’ordre, plus de gentilhomme ordinaire), cinquième édition, augmentée d’un troisième livre et de six cents additions aux deux premiers. C’est la dernière édition publiée du vivant de Montaigne, et, en bonne critique, elle devrait faire autorité ; mais l’auteur des Essais ne cessait pas de revoir son œuvre de prédilection, et quand il mourut, en 1592, il se préparait à en donner une sixième édition avec de nouveaux ajouts. Ce fut sa fille d’alliance, Mlle de Gournay, qui reçut de la famille la glorieuse mission de donner au public cette édition posthume ; elle le fit à la satisfaction générale et publia, en 1595, un Montaigne in-folio qui fut considéré comme définitif pendant plus de deux siècles. Les Essais et leur philosophie Les Essais est donc l’œuvre d’un homme de cinquante ans, qui revient d’un long voyage en Europe et qui, soucieux de contrôler s’il a bien vécu, se livre à une sorte d’analyse de lui-même : auto-analyse menée au hasard, non pour « démontrer » mais pour le « plaisir de comprendre », et qui lui révèle peu à peu les contradictions de sa propre nature. A quoi s’ajoute bientôt le sentiment des contradictions tout aussi profondes
des préceptes moraux qui lui ont été enseignés par ses maîtres ou ses lectures, des mœurs de tous les pays qu’il a traversés. Il conclut donc au scepticisme, formulé dans sa devise célèbre. Loin de le conduire à quelque défiance envers l’homme, cette attitude de doute débouche sur une universelle bienveillance et un art de vivre fondés sur la compréhension de nos faiblesses. > Un autoportrait universel Montaigne est le premier à faire de lui-même l’objet de son livre, il connaissait l’œuvre de St Augustin mais leur projet n’était pas le même puisque chez St Augustin il y avait une dimension religieuse, d’exemple. Ici, il se prend lui-même tout entier comme sujet de son œuvre : « C’est moi que je peins. » Une forme d’autoportrait où il parle de lui dans tous ses aspects, et prend soin d’insister sur la connaissance de lui-même et évoque également ses imperfections : « un être bien mal formé ». Seulement, en se pei- gnant lui-même, il peint l’humanité tout entière : « chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition ». C’est donc bien un ouvrage de philosophie au service de l’homme et non pour la gloire de l’auteur. > Un nouveau genre littéraire La composition des Essais est révé- latrice d’une autre spécificité : alors que les ouvrages de philosophie, de théologie ou les œuvres morales ayant la prétention de parler de la nature humaine, se présentaient en suivant des impératifs rhétoriques et une énonciation à la troisième personne, Montaigne prend au rebours cette tradition : les idées s’enchaînent au gré de sa pensée et il utilise sa propre expérience au service de ses réflexions ; c’est le deuxième trait caractéristique des Essais, l’auteur n’a pas la prétention de présenter des vérités générales sur l’homme, mais parle avant tout de lui-même, de sa propre expérience, de son rapport aux grands auteurs et à l’Histoire, bref il entend se peindre à la manière d’un portraitiste. Cette manière d’écrire, qui paraît pour le moins audacieuse et hermétique en ce qu’elle pourrait perdre l’auteur au fil de ses pensées, l’écarter du cours de sa réflexion, ou même lui faire oublier son interrogation primitive, est en fait au service d’une certaine conception de la philosophie. En réalité, s’il semble parfois faire des digressions inutiles ou des remarques déplacées, Montaigne ne se perd jamais et par là, n’oublie jamais son lecteur ; son originalité est donc constituée par le fait qu’en écrivant, il s’éprouve lui-même, il a besoin d’essayer sa pensée à des réflexions diverses pour trouver un juste équilibre et finalement trouver, dans l’ensemble de son œuvre, le fil conducteur d’une certaine conception de la sagesse. Or ce qui donne toute sa force à l’écriture des Essais, c’est que cette façon d’appréhender la philosophie de manière à la fois personnelle et expérimentale, au-delà d’une simple méthode de penser, est devenue un genre littéraire. > Apprendre à vivre « La philosophie est la science qui nous apprend à vivre. » dit Montaigne. Il entend par philosophie le mouvement de la pensée vivante quand elle se confronte à l’essentiel Château de Montaigne. (la mort, l’amour, l’amitié, l’éducation des enfants, la solitude, l’expérience…) et à soi. C’est pour lui l’apprentissage de la sagesse : philosopher c’est vivre heureusement, ou le plus heureusement possible. C’est « une très douce médecine que la philosophie, car des autres on n’en sent le plaisir qu’après la guérison, celle-ci plaît et guérit ensemble (…) On a grand tort de la peindre comme inaccessible aux enfants et avec un visage renfrogné, sourcilleux et terrible. Il n’est rien de plus gai, de plus allègre et peu s’en faut que je ne dise folâtre. Elle ne prêche que fête et bon temps. » La philosophie de Montaigne, qui s’exprime le plus nettement dans les derniers Essais à partir de 1588 et du livre III, est l’aboutissement de ses expériences (magistratures, guerres civiles, maladie, voyages) et de ses lectures philosophiques (systèmes qui l’ont influencé et modèles auxquels il a cherché à s’identifier : Caton, Épaminondas, Socrate enfin). Il aboutit ainsi peu à peu à une philosophie très personnelle qui est l’expression de sa personnalité bien qu’elle soit faite de pièces empruntées à la grande philosophie grecque dont il se sent si proche. > L’épicurisme L’épicurisme de Montaigne ne fera que s’accentuer avec le temps (« Il faut étendre la joie, mais retrancher autant qu’on peut la tristesse. »), mais il reste un philosophe sceptique et n’arrive pas à croire que les autres aient pu se fier totalement à leurs propres conceptions : « Je ne me persuade pas aisément qu’Épicure, Platon et Pythagore nous aient donné pour argent comptant leurs atomes, leurs idées et leurs nombres. Ils étaient trop sages pour établir leurs articles de foi sur une chose aussi incertaine et contestable ». La sagesse de Montaigne est une sagesse pour les gens ordinaires. Il nous apprend à suivre la nature : « La nature a maternellement observé ce principe que les actions qu’elle nous a enjointes pour notre besoin nous fussent très agréables également, et elle nous y convie non seulement par la raison, mais aussi par le désir : c’est une injustice de détériorer ses règles. » à savoir rester libre : « Mon opinion est qu’il faut se prêter à autrui et ne se donner qu’à soimême. » à ne pas se prendre au sérieux : « La plupart de nos occupations sont comiques. Il faut jouer notre rôle comme il faut, mais comme le rôle d’un personnage emprunté. » à se méfier de tous les extrémismes : « Le peuple se trompe : on va bien plus facilement par les bouts, là où l’extré- mité sert de borne d’arrêt et de guide, que par la voie du milieu large et ouverte, mais bien moins noblement et de façon moins estimable. » à être tolérant : « Je ne partage point cette erreur commune de juger d’un autre d’après ce que je suis. Je crois aisément qu’il y a des qualités différentes des miennes (…) Je conçois et crois bonnes mille manières de vivre opposées ; au contraire du commun des hommes, j’admets en nous plus facilement la différence que la ressemblance. » et surtout à aimer la vie telle qu’elle est et à la goûter pleinement : « J’ai un dictionnaire tout à fait personnel ; je « passe » le temps quand il est mauvais et désagréable ; quand il est bon, je ne veux pas le « passer », je le goûte à nouveau, je m’y arrête. Il faut « passer » le mauvais en courant et s’arrêter au bon. » A l’heure où la psychologie positive a de plus en plus d’adeptes, la philosophie de Montaigne apparait plus moderne que jamais et nous aide à cheminer par un travail intérieur qui révèle toute notre humanité. n À LIRE J.B. « Montaigne » de Philippe Desan, Editions Odile Jacob (2014), 180 pages. 25



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