Le Rire n°296 4 oct 1924
Le Rire n°296 4 oct 1924
  • Prix facial : 0,75 F

  • Parution : n°296 de 4 oct 1924

  • Périodicité : hebdomadaire

  • Editeur : F. Juven et Cie

  • Format : (226 x 302) mm

  • Nombre de pages : 20

  • Taille du fichier PDF : 110 Mo

  • Dans ce numéro : les Parisiens sont partis.

  • Prix de vente (PDF) : 1 €

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MONTMARTRE LES, IiCRASEURS LES BIENFAITEURS Depuis des années et des années, chaque jour que le bon Dieu fait, le père Geandrin s'installe, vers six heures, devant une table de cette brasserie du boulevard de Clichy dont il est le plus solide client. A neuf heures, sans quitter sa place, il mange un sandwich ; à une heure du matin, une soupe à l'oignon avec des oeufs durs. Les heures ne sont marquées que par ses changements de consommations. Après ses deux anis, il prend deux amers, un vermouth, il arrose son sandwich avec de la bière, il soigne sa digestion avec du calvados ; enfin, vient la procession des demis qui lui arrivent toutes les demi-heures, bien tirés, et dont la première goulée met de la mousse à ses moustaches qu'il suce. On peut penser qu'à trois heures du matin, quand ferme l'établissement, le père Geandrin est soûl. Il n'en est rien ; un peu lourd tout simplement, il traverse le boulevard, va faire pipi une dernière fois avant de rentrer et remonte ses cinq étages, rue Duperré, pour se lever vers midi, frais, le teint rose et de la gaîté dans l'oeil. D'après-midi, il va aux courses ou à la Bourse ; une vieille femme de ménage fait son ménage et son déjeuner, raccommode sou linge et n'échange pas avec lui deux mots par jour. UN INCONVÉNIENT... — C'est votre permis de conduire que je vous demande... Ça, c'est votre permis de chasse ! — Comment, ça ne suffit pas ? Dessin de Raymond PALLIER. tenet axntao — Comme ils sont exaspérants, ces gens du dessus, à danser le shimmy toute la journée ! — Coco, tu exagères... - Parbleu, toi, tu n'es pas aussi près que moi du plafond ! Dessin de Marcel ARSAC. Il n'a ni parents ni d'autres amis que ceux qu'il rencontre au café, il a des rentes qui lui suffisent, il ne demande rien à personne, il ne changerait pas son existence contre la plus belle du monde qui ne répondrait ni à ses goûts ni à ses besoins. Ce qu'il fait au café ? Rien. Il suit la partie des joueurs et donne des conseils aux débutants, car il connaît tous les jeux ; il raconte des histoires, des souvenirs. Il a fréquenté tous les êtres légendaires qui vécurent à Montmartre et aujourd'hui encore, autour de sa table, se rassemblent de bons copains. Mais il conserve une amitié attendrie pour les petites femmes qui viennent boire une menthe verte qu'il leur offre ou manger une tranche de jambon avec des cornichons, les jours de dèche, quand elles n'ont pas de quoi se payer à dîner. Elles savent que le père Geandrin est généreux et hospitalier, mais elles ont le tact de ne pas abuser de sa bonté. Elles l'aiment sincèrement, car, en échange de son obligeance, jamais il ne leur demande rien. Le bruit court, cependant, qu'il a une vieille maîtresse chez qui il va deux fois la semaine, mais les gamines qui l'entourent semblent ne lui donner aucune arrière-pensée ; il a pour elles des attentions paternelles, et bien qu'à cinquante-cinq ans il n'ait pas renoncé à toutes les satisfactions de l'existence, il ne veut rien d'elles et les traite comme de petites filles qu'elles sont. Cependant, l'année dernière, il vit arriver devant sa table une petite poule défaite et sanglotante ; son, amant venait de la quitter, et même il avait emporté, en partant, ses pauvres économies, peut-être cinquante francs, et ses bijoux, trois bagues, un bracelet, un collier. Ninette pleurait plus la fuite de ce mauvais garçon que la perte de son bien et pourtant elle n'avait pas cinq sous devant elle et se sentait trop accablée pour aller faire l'aimable auprès des clients des bars et des boites de nuit. Elle parlait de se ficher à l'eau ou plutôt de prendre une telle dose de coco qu'elle n'en reviendrait pas. Mais le père Geandrin lui tapota les mains, lui raconta des histoires et parvint à la calmer. Peut-être eut-il le tort de lui laisser prendre trois kummels glacés, puisque à trois heures, à la sortie du café, elle fut prise sur le trottoir d'une sorte de crise nerveuse, déclara qu'elle ne voulait pas rentrer dans sa chambre et que, décidément, elle aimait mieux mourir. Le père Geandrin, ineffable Samaritain, la prit doucement par le bras, trouva des paroles inutiles pour tenter de la consoler et, redoutant toutes les folies d'une femme désespérée et un peu
secouée, il l'emmena chez lui, avec la plus grande simplicité. Il l'installa sur un divan, attendit que la crise fût passée pour aller se coucher lui-même. Il la retrouva le matin, un bras sous la tête, la gorge nue et dormant d'un sommeil d'enfant. Pendant une quinzaine de jours, il la garda ainsi, parce que chaque soir, au moment de quitter le bon homme, elle prétendait ne pas pouvoir supporter la solitude. Peut-être seraitelle toujours restée chez lui si, un matin, elle ne s'était luise à rendre du sang à pleine cuvette, une belle hémoptysie qui voulait mal tourner. Le père Geandrin la conduisit chez un ami qui était médecin  : — Elle est bigrement mal foutue, ta poule  : si on ne l'expédie pas dare-dare dans un sanatorium, avant deux mois on livrera ses quatre sous d'os à Bagneux ou à Pantin. Le temps de prendre des renseignements et il conduisit luimême Ninette à la gare, ce qui mit dans sa vie une péripétie imprévue. Pendant six mois, il paya les frais de séjour et de traitement sans rien dire à personne, et c'est seulement quand il reçut une lettre dans laquelle la jeune femme lui annonçait son retour, complètement guérie, qu'il montra une petite émotion en murmurant :. — Pauvre gosse, elle revient de loin ! Ninette fit au café une entrée triomphale. Elle avait les joues pleines, de belles couleurs, une galté qu'on ne lui connaissait pas. Elle se mit à jacasser, à raconter des histoires insignifiantes, et, de temps en temps, elle plaquait deux baisers sonores sur les joues du père Geandrin  : — Qui c'est-il qui a empêché sa môme de clamser ? - —Çava ! çava ! A trois heures, il lui demanda  : — Où vas-lu coucher ? — Chez toi, pardi... J'ai laissé ma malle à la gare. A cette heure-ci, où veux-tu que j'aille ? ** LES MORTICOLTI Nous n'avons plus revu Ninette au café et quand nous demandions de ses nouvelles au père Geandrin, il répondait d'une voix bourrue  : — Je ne suis pas chargé de la garder. Mais je l'ai rencontrée l'autre soir dans un café de la place des Ternes  : — Qu'est-ce que tu es devenue ? Tu vois, j'ai changé de quartier... je ne veux plus retourner 1,tti.om.et — Vous êtes bien sûr, docteur, que j'ai une pneumonie ? — Absolument !... Quand je soigne quelqu'un pour une pneumonie, il meurt d'une pneumonie ! Dessin de 11. CHANCEL. à Montmartre... à cause du père Geandrin... — Qu'est-ce qu'il y a eu ? Elle haussa les épaules  : — Tu sais comment qu'il a été chic pour moi, hein ? quand j'ai eu de l'ennui à cause d'IIector, et quand j'ai été malade qu'il a tout payé, enfin il s'est conduit comme un père ne se conduirait pas toujours. Moi, j'avais sur le cour, tu comprends, de lui prouver que je ne suis pas une ingrate  : alors comme le soir même que je suis revenue, je suis retournée chez lui où que j'avais couché sur un divan avant de partir au « Sana 0, voilà que je le prends par le cou et que je lui glisse dans l'oreille  : n Si ça te fait plaisir, prends-moi, je n'ai que ça à te donner, mais je te le donne de tout mon cœur ! A ce moment-là, il devient écarlate, il Ill'envoie une bourrade, il me crie  : Fautil que tu Tire prennes pour un salaud ! En voilà des façons !... » Et il s'est enfermé (huis sa chambre. Vrai, comme je te le dis. Tu penses le chagrin que j'ai eu, moi qui faisais ça pour lui faire plaisir. Le lendemain, il m'a donné deux cents francs que d'abord je ne voulais pas prendre, il m'a dit qu'à présent, puisque j'allais mieux, je pouvais me débrouiller... Alors, tu comprends, j'aime mieux ne pas le revoir... Il est persuadé que je ne suis qu'une moins que rien, alors que je lui proposais ça pour lui montrer que je l'aimais bien... Robert I)iEunoNNF:. C'EST JEUNE... — On m'a dit qu'avec mon petit appartement moderne, il fallait des meubles ad hoc... Tu sais où ça s'achète, toi ? Dessin de G. l'Avis..44



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