L'ESCARPOLETTE — Savez-vous, chère amie, que je vois votre cuisse ?... — Savez-vous, cher ami, que j'en ai deux comme ça ? Dessin de VAR. Le Monsieur qui joue du piano C'était un monsieur comme les autres. Je n'ai pas dit comme vous ou moi, car moi et vous, nous ne sommes pas comme les autres. Il était entre deux âges, demeurait entre le second et le quatrième, et sortait le matin entre huit heures et demie et neuf heures moins vingt-cinq. A neuf heures moins vingt exactement, pénétrait chez lui un autre monsieur pas plus caractérisé, et qui jouait auprès de sa femme le rôle que seul, le premier de ces messieurs eût da être en droit d'exécuter. Quand il rentrait le soir, à son troisième étage, entre six heures et demie et sept heures moins vingt-cinq, était sorti de chez lui, cinq minutes auparavant, cet autre monsieur pas plus caractérisé et dont la description a été donnée plus haut pour les personnes que cela intéresse. Il embrassait sa femme soumise, sa fille qui ne l'était pas, mais aurait pu le devenir, et s'installait au piano. Comme il n'était pas très fort, il délaissait les grands auteurs, et jouait à la grande satisfaction de la maison le dernier air à la mode. En ce temps-là régnait et le jouait le monsieur : Elle n'me fait jamais des trucs comme ça ! *** Il arriva qu'un jour néfaste, il sortit de meilleure heure que d'habitude. Fut-ce à l'occasion de la visite de la capitale par un souverain, ou la femme de son chef de bureau voulait-elle aller au théâtre ce soir-là ? Personne n'en sut rien, pas même lui ; mais ce même jour exactement, bien qu'ayant flâné par les rues, il mettait sa clé dans la serrure, qu'il n'était encore que six heures et quart. 11 allait donner à sa femme le baiser d'arrivée quand il s'aperçut qu'elle recevait avec un plaisir non dissimulé le baiser d'adieu du second monsieur. Comme il était pondéré et bien élevé, il Ne contenta d'accrocher son chapeau dans l'entrée et attendit (lue l'étreinte fut terminée. Elle dura exactement encore cinquante-trois secondes. Il s'effaça pour laisser sortir, embrassa sa fille qui avait grandi depuis la dernière fois, attendit que sa femme se fût discrètement essuyé les lèvres, et se comporta vis-à-vis, d'elle comme auparavant. Il remarqua simplement : « Tiens, je suis en avance aujourd'hui., Et il se mit au piano. Comme toujours, il joua l'air en vogue : Il faut savoir tout prendre avec le sourire. ** Bien que le lendemain, après avoir raconté l'histoire à son concierge, il eût ajouté : On a beau faire le malin, ça vous fait tout de mëme quelque chose, la vie continua comme par le passé. 11 arriva cependant qu'un malheureux jour il sortit de meilleure heure que d'habitude. La femme de son chef de bureau voulaitelle aller au théâtre ce soir-là, ou fut-ce à l'occasion de la visite de la capitale par un souverain ? Personne n'en sut rien, pas même lui ; mais il n'était encore que six heures et quart quand il ouvrit la porte ce même jour. Le même spectacle l'attendait. Comme il était bien élevé et pondéré, il se contenta d'accrocher son chapeau à la patère et attendit que se terminât l'étreinte. Elle se prolongea, du fait de sa mansuétude première, pendant dix minutes exactement. Il s'effaça pour laisser passer, embrassa sa tille qui grandissait toujours. et, après avoir mesuré la distance, il lança à sa femme une paire de claques sonores. Puis, il s'assit au piano et joua la danse qui faisait fureur. Et l'épouse meurtrie murmurait au refrain : C'est mon homme ! JALOUSIE Après avoir passé dans la maison pour un sale individu, il acquit à la suite de ce mouvement un peu vif ; la réputation d'une brute ; mais il est dif fi cule de contenter à la fois tout le monde et sa dignité de mari. Tout commençait à s'apaiser quand la guigne s'abattit sur lui une troisième fois. Pour des raisons tout aussi inconnues, il devança son heure habituelle et surprit le couple adultère dans la même position. 11 commença par accrocher son chapeau, mais cette fois il y joignit son veston ; et, prenant son adversaire par les deux épaules, il le mit brutalement à la porte en agrémentant ce geste d'un violent coup de pied malencontreusement placé au creux de l'estomac, le tout sans s'excuser ; puis, ayant refermé la porte, il boxa sa conjointe pendant près d'un quart d'heure. Peut-être aurait-il jeté sa fille par la'fenêtre, mais elle n'était pas là. Pour se calmer les nerfs, il se mit au piano. Le shimmy était triomphant, on l'entendit qui jouait saccadément : J'en ai marre. Ugëne, Ugène !... R'hahille-tuf, v'là des jeunes tilles qui arrivent ! Dessin de Raymond PALLIKR. |