1 'LES JOYEUSES COMMÈRES °1% , ,i/CLÉOPATRE 0 LA TABLE QUI N'EST PAS DE BOIS Impossibilité en 4 scènes et quelques vraisemblances. PREMIÈRE VRAISEMBLANCE : La scène se passe dans un salon de petite _femme. DEUXIÈME VRAISEMBLANCE : Ce salon de petite femme est comme tous les salons de petite femme, c'est-à-dire qu'il comporté beaucoup de coussins, quelques papiers, dés accessoires de cotillon, d'innombrables photos d'hommes et une seule photo de femme. TROISIÈME VRAISEMBLANCE : Suzy Clodoche et son amie Lucette, l'une blonde, l'autre brune, sont assises face à face, des deux côtés d'un guéridon sur le plateau.supérieur duquel elles tiennent leurs mains allongées. QUATRIÈME VRAISEMBLANCE : Le guéridon reste figé dans une immobilité qui serait inquiétante si elle n'était toute naturelle. SCÈNE I Suzy, Lucette. LUCETTE, désolée. — Ce n'est pas la peine d'insister, elle ne marchera plus. Alors, je me sauve. Il est tard. On se verra demain. 1 14 — Elle a des yeux magnifiques. — Bien sûr ! Sans ça, ce ne serait pas la peine qu'elle ait épousé un oculiste ! Dessin de MARS -TRICK. SUZY. Bien sûr ! LUCETTE. Tu ne vas pas avoir peur toute seule, dans cet appartement où l'un des esprits qui ne sont pas venus jusque dans la table est peut-être embusqué dans un coin ? suzY. — Tu es bête ! Les esprits, c'est des morts, et les morts ça n'a jamais fait de mal à personne. Tiens ! j'ai eu un oncle qui était croque-mort ; c'est te dire s'il en connaissait des macchabées ! Eh bien, ça ne l'a pas empêché de devenir centenaire et d'enterrer tous ses clients !... Au revoir, chérie ! (Baisers. Cinquième vraisemblance.) LUCETTE. — Au revoir, à demain ! (Elles sortent. Suzy revient seule.) SCÈNE II suzY. — Oh ! il fait chaud ici ! (Elle va ouvrir la fenêtre.) Ah ! la belle nuit ! ! Allons nous coucher ! Toute seule ! Ça ne m'était pas arrivé depuis lundi. (Elle entre dans sa chambre. A ce moment, une tête apparaît à la fenêtre. C'est celle de Cur. Sixième et dernière vraisemblance.) SCÈNE III CUR, seul. — Oh ! c'est chic ici ! (Il entre.) Ma foi, tant pis ! On verra bien. Je ne sais où aller coucher ! ! (Prenant une photo.) Elle a l'air à point la maîtresse de céans... Je ne demanderai pas mieux que de jouer le rôle de céans... C'est jeune, c'est frais... cinq louis la nuit... Bah ! il ne me manque que gg fr. 75, ça ira, ça ira très bien ! En y mettant chacun du sien..., moi, mes 25 centimes ; elle, tout le reste ! Oh ! quelqu'un ! (Il se cache derrière un des rideaux'-de la fenêtre.) SCÈNE IV Cur, Suzy. suzY, entrant. — Je ne peux pas rester comme ça, c'est plus fort que moi, j'ai peur. Les tables tournantes, même quand elles ne tournent pas, ce ne sont décidément pas des.histoires à dormir toute seule. CUR, à part. — Seule ! Elle est seule ! suzY, poussant un cri. — Ah ! cette fois, j'ai bien entendu... On a remué ! Au secours ! Je vais chercher le concierge. CUR, à part. — Le concierge ! S'il arrive,. je suis pris. Il vaut mieux que je m'en aille ! Dommage ! Elle est gentille ! (Il essaie de se rapprocher de la fenêtre.) SUZY, le voyant. — Un hômme !... un homme ! Je suis sauvée ! Monsieur, monsieur, ne vous en allez pas ainpi ! Restez ! restez ! C'est le ciel qui vous envoie ! (Elle s'approche de lui et le palpe.) CUR. - Faites comme chez vous ! suzY, le palpant. — C'est pour m'assurer que vous n'êtes pas un esprit... CUR. — Rassurez-vous : je suis'un homme et rien de ce qui touche l'homme ne me laisse indifférent... C'est pourquoi, je vous en prie, ne me tripotez pas comme ça ! (Un silence, puis brusquement.) Au revoir, mademoiselle. SUZY. — Vous êtes fou ? Ne vous en allez pas ! CUR. — Je vous demande pardon. (Il s'assied. Un silence.) — Cet ignoble individu a été proposer la botte à une jeunesse de i3 ans... — La botte ? — Oui !... et dans le derrière encore ! Dessin de J.- J. RoussAu. |