hommage Un ami est parti Texte D. Rastouil Photo S. Denys La vie m’avait encordé à ce géant au détour des blocs de Bleau. Le gamin admiratif voyait la star des Carnets de l’aventure. La main tendue, Patrick m’a fait rentrer dans son monde, me permettant de « sécher » les cours du collège. La pulpe des doigts au sang, nous avons partagé notre plaisir de grimper au début sur les blocs puis encordés sur les falaises d’Europe. Mouvements après mouvements, défis après défis cet alchimiste a ciselé ma façon de vivre. Passionné dans la plus stricte définition du mot, il s’est laissé dévorer par ce mode de déplacement qu’est l’escalade, n’acceptant pas d’être pris à défaut dans son univers. L’idée de travestir une émotion verticale lui était insupportable. Coûte que coûte il se devait d’avoir les moyens physiques de jouer tous les jours de l’année, la fatigue ne pouvait, ne devait l’atteindre. Le repos était son châtiment. Patrick était légitime dans ses propos, ses images et personne, personne n’a remis, ne remet et ne le remettra en question sauf lui. Tutoyer l’excellence était affaire de vie, ne jamais être satisfait une idéologie. Il n’aspirait qu’à faire correspondre son idée de la liberté avec ses propres émotions et payait rubis sur l’ongle sa philosophie. Insatisfait, perpétuel insatisfait, Patrick ne trouvait pas la paix dans l’escalade. Cette dernière trouvant toujours un nouveau bloc, une nouvelle voie pour ce boulimique du rocher. Sa satisfaction, il la trouvait au crépuscule quand une cigarette et une bière mettaient un point final à la journée et que le temps était venu de palabrer en utilisant plus que d’habitude les expressions de Marseille. Ces moments-là étaient magiques, chaque récit prenait une consonance à la Marcel Pagnol. L’accent et les mots des acteurs du jour amplifiaient cette ambiance, si tu fermais les yeux, tu te retrouvais dans un film où César, Marius et Fanny allaient surgir de derrière le comptoir. Les instants se racontaient comme pour mieux en profiter et les rires ponctuaient nos récits. Bien sûr les monologues n’étaient pas d’usage, car nous n’avions aucun scrupule à interrompre le narrateur en lui disant : « Là mon cousin t’exagères, si tu continues on va croire que c’est la sardine qui a bouché le port de Marseille. » Le bistrot des Goudes reste pour moi le symbole de ces débuts de soirées méditerranéennes. J’ai appris ces soirs-là à vivre avec passion, mais surtout à la partager pour sculpter à jamais mes souvenirs d’adolescent. J’ai regardé ces adultes dans les yeux et je me suis émerveillé de l’insouciance qu’ils exprimaient. Je crois que l’escalade conserve intacte notre âme d’enfant. Nous nous nourrissions des sensations. Nous relations le moment où tout avait basculé soit pour saisir la chaîne, soit pour exprimer le désespoir assourdissant d’une chute. Mais la ligne de vie qu’est la corde était le trait d’union du partage sans réserve des moments présents. Ces moments-là vont me manquer car il n’y avait pas de reconnaissance à travers la performance mais à travers la joie de s’être épanoui dans les mouvements pour grimper à « en crever ». 10a, 6a... peu importe, si le fait de prendre la chaîne dans la main nous donnait le sourire d’un enfant, le jeu était gagné. Combien de fois au détour d’une pause cigarette, Patrick observa jalousement le néophyte en me disant : « Tu vois cet encatané, il éprouve un plaisir que nous n’aurons plus. Nous on « s’engatse » pour rechercher cette émotion en espérant qu’on va revivre la première. Quand tu débutes, tu l’as à chaque voie et quand tu passes tout ton temps sur le rocher tu l’as si rarement… ». Il était l’alchimiste pour qui l’or était l’émotion que nous offre le rocher. Cette alchimie, il l’a réussie sans le savoir, sans s’en apercevoir. Il est parti, il est parti mon ami. J’entends encore l’hommage magnifique de Maurice s’adressant à ta fille lors de ton départ. À ce moment-là, ma tristesse s’est apaisée pour dessiner sur mon visage un sourire de gamin comme si la mort n’était pas une fin. 30 |