Escalade Mag n°55 février 2013
Escalade Mag n°55 février 2013
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°55 de février 2013

  • Périodicité : bimestriel

  • Editeur : Press'Evasion

  • Format : (170 x 240) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 5,5 Mo

  • Dans ce numéro : hommage à Patrick Edlinger.

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

Dans ce numéro...
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hommage Un ami est parti Texte D. Rastouil Photo S. Denys La vie m’avait encordé à ce géant au détour des blocs de Bleau. Le gamin admiratif voyait la star des Carnets de l’aventure. La main tendue, Patrick m’a fait rentrer dans son monde, me permettant de « sécher » les cours du collège. La pulpe des doigts au sang, nous avons partagé notre plaisir de grimper au début sur les blocs puis encordés sur les falaises d’Europe. Mouvements après mouvements, défis après défis cet alchimiste a ciselé ma façon de vivre. Passionné dans la plus stricte définition du mot, il s’est laissé dévorer par ce mode de déplacement qu’est l’escalade, n’acceptant pas d’être pris à défaut dans son univers. L’idée de travestir une émotion verticale lui était insupportable. Coûte que coûte il se devait d’avoir les moyens physiques de jouer tous les jours de l’année, la fatigue ne pouvait, ne devait l’atteindre. Le repos était son châtiment. Patrick était légitime dans ses propos, ses images et personne, personne n’a remis, ne remet et ne le remettra en question sauf lui. Tutoyer l’excellence était affaire de vie, ne jamais être satisfait une idéologie. Il n’aspirait qu’à faire correspondre son idée de la liberté avec ses propres émotions et payait rubis sur l’ongle sa philosophie. Insatisfait, perpétuel insatisfait, Patrick ne trouvait pas la paix dans l’escalade. Cette dernière trouvant toujours un nouveau bloc, une nouvelle voie pour ce boulimique du rocher. Sa satisfaction, il la trouvait au crépuscule quand une cigarette et une bière mettaient un point final à la journée et que le temps était venu de palabrer en utilisant plus que d’habitude les expressions de Marseille. Ces moments-là étaient magiques, chaque récit prenait une consonance à la Marcel Pagnol. L’accent et les mots des acteurs du jour amplifiaient cette ambiance, si tu fermais les yeux, tu te retrouvais dans un film où César, Marius et Fanny allaient surgir de derrière le comptoir. Les instants se racontaient comme pour mieux en profiter et les rires ponctuaient nos récits. Bien sûr les monologues n’étaient pas d’usage, car nous n’avions aucun scrupule à interrompre le narrateur en lui disant : « Là mon cousin t’exagères, si tu continues on va croire que c’est la sardine qui a bouché le port de Marseille. » Le bistrot des Goudes reste pour moi le symbole de ces débuts de soirées méditerranéennes. J’ai appris ces soirs-là à vivre avec passion, mais surtout à la partager pour sculpter à jamais mes souvenirs d’adolescent. J’ai regardé ces adultes dans les yeux et je me suis émerveillé de l’insouciance qu’ils exprimaient. Je crois que l’escalade conserve intacte notre âme d’enfant. Nous nous nourrissions des sensations. Nous relations le moment où tout avait basculé soit pour saisir la chaîne, soit pour exprimer le désespoir assourdissant d’une chute. Mais la ligne de vie qu’est la corde était le trait d’union du partage sans réserve des moments présents. Ces moments-là vont me manquer car il n’y avait pas de reconnaissance à travers la performance mais à travers la joie de s’être épanoui dans les mouvements pour grimper à « en crever ». 10a, 6a... peu importe, si le fait de prendre la chaîne dans la main nous donnait le sourire d’un enfant, le jeu était gagné. Combien de fois au détour d’une pause cigarette, Patrick observa jalousement le néophyte en me disant : « Tu vois cet encatané, il éprouve un plaisir que nous n’aurons plus. Nous on « s’engatse » pour rechercher cette émotion en espérant qu’on va revivre la première. Quand tu débutes, tu l’as à chaque voie et quand tu passes tout ton temps sur le rocher tu l’as si rarement… ». Il était l’alchimiste pour qui l’or était l’émotion que nous offre le rocher. Cette alchimie, il l’a réussie sans le savoir, sans s’en apercevoir. Il est parti, il est parti mon ami. J’entends encore l’hommage magnifique de Maurice s’adressant à ta fille lors de ton départ. À ce moment-là, ma tristesse s’est apaisée pour dessiner sur mon visage un sourire de gamin comme si la mort n’était pas une fin. 30
Texte et illustration G. Clouzeau Photo G. Kosicki Patrick : la disparition d’un héros, la mort d’un homme n’est moins certain. Voilà 30 ans que les films de Jean-Paul Janssen ont fait de Patrick une star au point de tourner avec José Giovanni en 1985 dans Les Loups entre eux puis avec Claude Lelouch en 1992 dans La Belle Histoire. J’ai eu la chance de passer un peu de temps avec Patrick. Je me rappelle des premières fois où j’ai aperçu mon héros, l’observant de loin sans oser l’approcher. J’avais peur qu’il m’expédie comme tant de stars le font. J’ai donc attendu une occasion, celle d’une présentation officielle. Elle eut lieu en 1994 à la Roche aux Sabots grâce aux bons soins d’un ami commun. Le mythe avait déjà pris quelques rides et j’avais été frappé par le décalage entre la représentation iconique que je m’étais faite de l’homme et la réalité. Une telle idole qui fume et boit plus que moi, était-ce possible ? Par la suite, nous nous étions retrouvés au hasard des manifestations de nos sponsors communs et même si j’avais pu entrevoir son mal-être, je n’avais pu en sonder la profondeur. Patrick gérait son image et plutôt bien : photos choisies, partenariat bien négocié lui laissant une grande plage de liberté, etc. Personne ne le lui reprochait. Certains l’enviaient certainement, quelques-uns en profitaient probablement mais finalement, tous s’accordaient à dire que sans lui, l’escalade ne serait pas ce qu’elle est. J’adorais voir Patrick prendre une paire de ciseaux pour customiser les T-shirts tout neufs que lui tendaient ses sponsors. Ces T-shirts étaient à l’image de l’homme. Il leur ôtait systématiquement le col et les manches pour en faire des débardeurs largement échancrés. Par ce geste il détruisait l’aspect contraignant de l’homme-sandwich, retirant ce col qui vous étouffe et ces manches un peu serrées qui limitent vos mouvements. Bref, il retrouvait sa liberté d’action et marquait de son empreinte les objets. Les Editions Guérin ont soulevé un coin du voile sur ce mal-être de Patrick il y a quelques semaines dans un extrait du livre à paraître. Un mal-être attribué en partie à l’emprise du temps sur les hommes. Un héros n’est pas invulnérable. Il vieillit. Et se voir vieillir n’est jamais simple. Mais sa détresse était plus profonde... Patrick souffrait de solitude. Comment est-ce possible quand on a une belle maison au Verdon qui ferait rêver n’importe quel grimpeur, une belle notoriété et surtout une petite fille de dix ans ? Oui, quand on a tout cela, on est un grimpeur heureux, non ? Eh bien non ! Au moins dix ans que l’on ne voyait plus notre blond sur les écrans faire la promotion d’une célèbre barre de céréales. Celui qui avait été adulé par toute une génération, hissé au top par Paris Match, iconifié par ses sponsors comme Oxbow, Beal et tant d’autres, s’est avéré être un colosse aux pieds d’argile. Un homme fragile, sur lequel le temps et la vie avaient leur emprise. C’est difficile d’avoir été une star et de découvrir la véritable nature humaine de ceux qui vous entourent. Difficile de les voir, ceux qui se proclamaient ses amis, le délaisser au fur et à mesure que sa popularité diminuait… Mais pouvait-il en être autrement ? La route menant au star system est pavée de vies sacrifiées et meurtries. Patrick avait certes un sacré mental mais il s’est usé avec les petits et les gros bobos de la vie. Au fond, il a été un vrai héros dramatique, destin exceptionnel mais malheureux. Aristote assignait pour but à la tragédie d’inspirer « crainte et pitié », le spectacle devant permettre l’épuration des pulsions, angoisses ou fantasmes. C’est ce que l’on appelle la catharsis.



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