Philosophie pratique n°3 jui/aoû/sep 2010
Philosophie pratique n°3 jui/aoû/sep 2010
  • Prix facial : 4,90 €

  • Parution : n°3 de jui/aoû/sep 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : Lafont Presse

  • Format : (180 x 250) mm

  • Nombre de pages : 84

  • Taille du fichier PDF : 15 Mo

  • Dans ce numéro : le Bonheur est en vous.

  • Prix de vente (PDF) : 1 €

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Le Bonheur est en vous nécessaire, si nous savons créer en nous une force vive qui nous permette d’agir et de perfectionner la vie humaine et le monde sans avoir besoin de l’aiguillon du mal. L’erreur, donc, n’est pas dans cette suite qui nous montre, après une vie inconsciente, une vie active et douloureuse, puis une vie active sans douleur ; elle est dans la caractérisation de chacun de ces trois ternes. C’est le terme du milieu, qui, caractérisé d’une certaine manière, a force de caractériser les deux autres comme on l’a fait. Là est l’erreur. La terre, c’est-à-dire la vie telle que nous la connaissons, a été incomplètement appréciée, et de là est venu et l’Eden chimérique et le Paradis chimérique. Les grands théologiens saint Paul et saint Augustin ont beau médire de la Nature, la Nature n’est pas aussi corrompue qu’ils le disent. La vie présente n’est pas uniquement dévouée au malheur. Aussi qu’est-il arrivé ? C’est que la Nature a toujours conservé ses partisans ; c’est que la vie présente s’est moquée de l’anathème jeté sur elle, et qu’on a fini, depuis trois siècles, par ne plus croire ni à l’Eden ni au Paradis. Assurément la vie présente n’est qu’un prodrome à la vie future. Mais entre la vie présente et la vie future y a-t-il, sous le rapport du bien et du mal, l’abîme que les chrétiens avaient imaginé ? Les grands théologiens saint Paul et saint Augustin ont beau médire de la Nature, la Nature n’est pas aussi corrompue qu’ils le disent. Comme les filles de Pélias, qui égorgèrent leur père voulant le rajeunir, les chrétiens ont jeté la vie, telle qu’il nous est donné de la comprendre, dans les flammes du jugement dernier. Puis devait venir un monde inaltérable, incorruptible, et 62 Philosophie pratique définitif. Ce monde n’est pas venu. Leur empressement d’immortalité a nui dans la suite à l’idée même de l’immortalité de notre être, en sorte qu’on pourrait appliquer à cette hâte de bonheur sans mélange le beau vers de Juvénal : « Et, propter vitam, vivendi perdere causas. » Apprécions donc sainement la vie présente, sans craindre de nuire par là à notre soif d’immortalité. Dans ce que nous allons dire, il ne s’agit pas de l’œuvre de Dieu en général, de cette œuvre que les chrétiens ont supposée maudite avec nous et à cause de nous, tandis que tant de philosophes l’ont jugée parfaite de tout point. Il est assez clair qu’en prenant la question par rapport au tout, nous aurions plutôt raison de soutenir qu’il n’y a pas de mal dans le monde. Car de quelque côté qu’on se tourne, on rencontre non pas seulement la nécessité, mais l’ordre ; non-seulement tout est arrangé, tout est ordonné suivant les lois d’une géométrie irréfragable, mais continuellement, après un effet que nous serions tentés d’appeler le mal, nous voyons se produire un autre effet que nous appelons le bien. Donc, à un spectateur placé à un autre point de vue, ce premier effet que nous appelons un mal pourrait paraître un bien. L’argument de Leibnitz, que si le premier effet a été nécessaire pour produire le second, il est par là même justifié, n’est donc même pas assez fort : car il suppose trop le mal dans l’ensemble, mal dont nous ne pouvons avoir aucune certitude. Mais encore une fois je ne traite pas ici cette question. C’est de l’homme, c’est de l’humanité qu’il s’agit ici. Ce n’est pas de l’ensemble, de l’œuvre générale de Dieu ; c’est de la vie particulière des créatures. Or si saint Paul a dit que toute créature gémit, on pourrait dire avec autant de raison que toute créature sourit, et que le plaisir brille dans le monde comme la douleur. Non, même pour nous, Dieu n’a pas maudit ni
délaissé ce monde ; car si nous y rencontrons partout la douleur et la mort, partout aussi nous y rencontrons le plaisir et la vie. Les poètes et les peintres nous ont montré les Heures dansant en rond : ainsi se succèdent tour à tour le bien et le mal dans la vie de chaque être. Tous les arguments que nous rassemblions tout à l’heure contre la vanité du bonheur absolu se retournent contre la prétention du malheur absolu sur la terre. Cette imperfection même que nous avons pour le plaisir, nous l’avons aussi pour la douleur. Qu’il s’agisse de douleur physique, ou de douleur morale, nous ne sentons plus au-delà d’un certain degré. À un certain point la faculté de souffrir nous manque ; vient alors l’affaissement, le repos, le sommeil ; puis la vie reparaît. Qui est-ce qui ignore l’empire du temps sur les plus profondes douleurs ? Les poètes n’ont-ils, pas toujours chanté le charme de la mélancolie ? Qui ne sait pas que nos douleurs se transforment, après plus ou moins de temps, en souvenirs agréables : Et hoec reminisse juvabit ? Ainsi, lors même que nous ne serions pas préservés par la nature d’un malheur continu et sans relâche, nous le serions par la faculté qui nous a été donnée de nous souvenir. Le souvenir d’une douleur passée est accompagné de satisfaction, de même que le souvenir d’un plaisir passé emporte ordinairement avec lui le regret. Nous avons donc en nous naturellement un remède au malheur, dans cette puissance de la vie qui transforme en bien le mal, à mesure qu’il nous arrive. Mais cette faculté ne se borne pas à la mémoire. Il s’opère continuellement en nous, par d’autres voies, le même phénomène de transformation du mal en bien qui a lieu dans le monde. La foudre, qui écrase, rend la terre féconde ; les poisons les plus funestes, combinés d’une certaine façon, deviennent salutaires : de même, en nous, par un Philosophie du Bonheur profond mystère, la douleur amène des développements de passions qui luttent contre elle, lui résistent, lui font équilibre, ou même la font disparaître. Concluons donc que le malheur absolu est aussi impossible que le bonheur absolu. Nous en sommes garantis par cette instabilité même de toutes choses qui règne dans le monde. Nous en sommes garantis par notre mémoire, qui, amassant en nous nos douleurs, les transforme et en Qui ne sait pas que nos douleurs se transforment, après plus ou moins de temps, en souvenirs agréables : Et hoec reminisse juvabit ? tire des joies. Nous en sommes garantis par nos passions mêmes, qui, se succédant les unes aux autres, nous font échapper au sentiment de leurs chutes, en nous relevant pour nous emporter à d’autres combats et à d’autres revers. Donc, indépendamment des ressources que nous pouvons tirer de la vertu, et sans entrer dans l’ordre religieux, mais en restant dans l’ordre de la nature, il est certain que la vie humaine est un mélange de bien et de mal, et qu’elle ne peut jamais devenir d’une manière absolue heureuse ou malheureuse. Philosophie pratique 63



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