Philosophie pratique n°3 jui/aoû/sep 2010
Philosophie pratique n°3 jui/aoû/sep 2010
  • Prix facial : 4,90 €

  • Parution : n°3 de jui/aoû/sep 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : Lafont Presse

  • Format : (180 x 250) mm

  • Nombre de pages : 84

  • Taille du fichier PDF : 15 Mo

  • Dans ce numéro : le Bonheur est en vous.

  • Prix de vente (PDF) : 1 €

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Le Bonheur est en vous tième siècle, avait discouru sur le bonheur. Lui aussi, comme Bolingbroke et tous les purs déistes, ne connaît pas autre chose que la Nature et son ordre immuable. Le présent, voilà tout son horizon ; sa philosophie est dénuée d’idéal. Son art d’être heureux consiste à s’arranger le moins mal possible au milieu des calamités innombrables qui nous entourent. « Apprenons, dit-il, combien il est dangereux d’être homme, et comptons tous les malheurs dont nous sommes exempts pour autant de périls dont nous sommes échappés. » Il déclare d’avance que c’est à un petit nombre d’esprits d’élite que ses leçons pourront convenir. Ses leçons, il faut bien le dire, sont des leçons d’égoïsme ; mais ce n’est pas ce qui nous importe ici. Ce que nous voulons constater, c’est qu’en se bornant au bonheur même le plus mesquin, Fontenelle trouve encore le bonheur presque impossible, et refusé à la Mais ce n’est pas seulement parce que tous les objets du monde sont changeants et périssables que nous souffrons ; c’est encore parce qu’ils sont si misérablement imparfaits, qu’ils ne sauraient remplir notre soif de bonheur. presque totalité du genre humain. « C’est l’état, dit-il, qui fait le bonheur ; mais ceci est très fâcheux pour le genre humain. Une infinité d’hommes sont dans des états qu’ils ont raison de ne pas aimer ; un nombre presque aussi grand sont incapables de se contenter d’aucun état : les voilà donc presque tous exclus du bonheur, et il ne leur reste pour ressources que des plaisirs, 58 Philosophie pratique c’est-à-dire des moments semés çà et là sur un fond triste qui en sera un peu égayé. Les hommes dans ces moments reprennent les forces nécessaires à leur malheureuse situation, et se remontent pour souffrir. Celui qui voudrait fixer son état, non par la crainte d’être pis, mais parce qu’il serait content, mériterait le nom d’heureux ; on le reconnaîtrait entre tous les autres hommes à une espèce d’immobilité dans sa situation ; il n’agirait que pour s’y conserver, et non pas pour en sortir. Mais cet homme là a-t-il paru en quelque endroit de la terre ? » Si un philosophe aussi sec que Fontenelle trouve le bonheur si difficile et son existence si problématique, faut-il nous étonner des cris de désespoir que des hommes plus passionnés que lui, et moins heureusement doués pour ce bonheur négatif dont il se contentait, ont poussés depuis trois siècles, depuis que le christianisme n’a plus été là pour leur montrer le Ciel ? Est-il étonnant que Shakespeare, sous l’habit d’Hamlet, repousse si durement l’amour de sa maîtresse ? Est-il étrange que la croyance au paradis étant tombée et nous trouvant, sans Ciel, en présence de cette terre où germe si difficilement le bonheur, nous avons entendu toutes ces lamentations qui depuis vingt années retentissent à nos oreilles comme un chant de l’enfer ? Ce que Byron et tant d’autres avec lui nous ont révélé de douleurs était implicitement renfermé dans les aveux de Fontenelle et de Voltaire. Il était évident que la réalité étant si triste, et la Nature nous ayant laissés à la merci de tant de maux, une fois que nous ne croirions plus qu’à la réalité présente et à la Nature, nous serions désespérés. Confessons donc franchement que le bonheur nous est refusé, du moins dans notre vie actuelle. Et comment en effet pourrions-nous le rencontrer en cette vie, et, comme on dit, sur cette terre, où habite avec nous la douleur et la mort ? Tout ce que nous aimons étant périssable, nous nous
Philosophie du Bonheur trouvons ainsi, par notre amour, continuellement exposés à souffrir. Il faudrait donc ne rien aimer pour ne pas souffrir. Mais ne rien aimer est la mort de notre âme, la mort la plus affreuse, la véritable mort. Ainsi, soit que nous sortions de nous-mêmes pour nous attacher à quelque objet extérieur, soit que nous nous détachions de tous les objets que le monde nous offre à aimer, nous sommes assurés de souffrir. Mais ce n’est pas seulement parce que tous les objets du monde sont changeants et périssables que nous souffrons ; c’est encore parce qu’ils sont si misérablement imparfaits, qu’ils ne sauraient remplir notre soif de bonheur. Et ce n’est pas encore leur fragilité et leur imperfection seules qui font notre souffrance : le même ver qui les dévore nous dévore nous-mêmes ; nous souffrons parce que nous sommes nous-mêmes horriblement imparfaits, parce que tout en nous est changeant et périssable. Comme des coursiers qui manqueraient tout à coup sous leurs cavaliers, les vagues de nos passions qui nous portent s’affaissent continuellement, et, après nous avoir élevés, se retirent, et, en nous brisant, nous abandonnent sur des fonds desséchés. Le bonheur le plus ardemment désiré, quand il est obtenu, effraie l’âme de son insuffisance. Notre cœur est semblable au tonneau des Danaïdes que rien ne pouvait remplir. En nous, donc, autour de nous, tout est combat, tout est lutte. Si nous considérons le monde, nous y voyons tout en guerre : les espèces se dévorent, les éléments luttent ensemble ; la société humaine est à bien des égards une lutte continuelle et une guerre. Combien de philosophes ont trouvé que le plus cruel ennemi de l’homme était l’homme : Homo homini lupus ! Le monde que nous habitons n’est formé que de ruines, et nous ne pouvons y faire un pas sans détruire. Que nous le prenions, ce monde, dans le temps ou dans l’espace, sous ses deux dimensions c’est un réseau de mal, de destruction, et de carnage, si bien tissé et si plein, que cela ressemble à ce tableau de Salvator, où tout tue et est tué en même temps, où hommes, chevaux, et jusqu’à un oiseau qui passe sur le champ de bataille, tout est frappé, tout meurt, sous un ciel pâle, dans un affreux ravin, tandis que le soleil s’éteint tristement Le monde que nous habitons n’est formé que de ruines, et nous ne pouvons y faire un pas sans détruire. à l’horizon. Admirable tableau, sublime expression de la mélancolie que le mal moral et le mal physique répandus dans le monde peuvent jeter dans notre âme ! Saint Paul, le grand poète, le grand théologien, a résumé d’un mot cette douleur universelle de la nature quand il a dit : « Omnis creatura ingemiscit. » Et la théologie chrétienne n’est pas la seule qui ait constaté ce gémissement de toute créature. Toutes les antiques religions ont eu des mythes pour exprimer cette idée ; et nous venons de voir que les siècles dits de lumières et de philosophie, les siècles d’incrédulité, rendent également témoignage de la vanité de ce mot bonheur. Pourtant le mépris qu’on faisait du Ciel à ces époques aurait dû tourner au profit de la félicité terrestre. On voulait détrôner des religions vieillies, il fallait donc exalter la réalité aux dépens de leur idéal ; on n’avait que la terre, il fallait donc en jouir ; on ne croyait qu’au présent, il fallait donc en profiter. Comme le sage Fontenelle, on a pris la vie pour une trouvaille, et on s’est montré peu difficile avec elle ; on s’est fait peu exigeant à l’égard de la Nature, cette mère aveugle qui remplaçait la Providence ; on a donné le moins de pages qu’on a pu à la fortune ; on a concentré toute son attention et rassemblé toute sa prudence sur soi-même, on a mis tout son génie à être Philosophie pratique 59



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