Le Bonheur est en vous tième siècle, avait discouru sur le bonheur. Lui aussi, comme Bolingbroke et tous les purs déistes, ne connaît pas autre chose que la Nature et son ordre immuable. Le présent, voilà tout son horizon ; sa philosophie est dénuée d’idéal. Son art d’être heureux consiste à s’arranger le moins mal possible au milieu des calamités innombrables qui nous entourent. « Apprenons, dit-il, combien il est dangereux d’être homme, et comptons tous les malheurs dont nous sommes exempts pour autant de périls dont nous sommes échappés. » Il déclare d’avance que c’est à un petit nombre d’esprits d’élite que ses leçons pourront convenir. Ses leçons, il faut bien le dire, sont des leçons d’égoïsme ; mais ce n’est pas ce qui nous importe ici. Ce que nous voulons constater, c’est qu’en se bornant au bonheur même le plus mesquin, Fontenelle trouve encore le bonheur presque impossible, et refusé à la Mais ce n’est pas seulement parce que tous les objets du monde sont changeants et périssables que nous souffrons ; c’est encore parce qu’ils sont si misérablement imparfaits, qu’ils ne sauraient remplir notre soif de bonheur. presque totalité du genre humain. « C’est l’état, dit-il, qui fait le bonheur ; mais ceci est très fâcheux pour le genre humain. Une infinité d’hommes sont dans des états qu’ils ont raison de ne pas aimer ; un nombre presque aussi grand sont incapables de se contenter d’aucun état : les voilà donc presque tous exclus du bonheur, et il ne leur reste pour ressources que des plaisirs, 58 Philosophie pratique c’est-à-dire des moments semés çà et là sur un fond triste qui en sera un peu égayé. Les hommes dans ces moments reprennent les forces nécessaires à leur malheureuse situation, et se remontent pour souffrir. Celui qui voudrait fixer son état, non par la crainte d’être pis, mais parce qu’il serait content, mériterait le nom d’heureux ; on le reconnaîtrait entre tous les autres hommes à une espèce d’immobilité dans sa situation ; il n’agirait que pour s’y conserver, et non pas pour en sortir. Mais cet homme là a-t-il paru en quelque endroit de la terre ? » Si un philosophe aussi sec que Fontenelle trouve le bonheur si difficile et son existence si problématique, faut-il nous étonner des cris de désespoir que des hommes plus passionnés que lui, et moins heureusement doués pour ce bonheur négatif dont il se contentait, ont poussés depuis trois siècles, depuis que le christianisme n’a plus été là pour leur montrer le Ciel ? Est-il étonnant que Shakespeare, sous l’habit d’Hamlet, repousse si durement l’amour de sa maîtresse ? Est-il étrange que la croyance au paradis étant tombée et nous trouvant, sans Ciel, en présence de cette terre où germe si difficilement le bonheur, nous avons entendu toutes ces lamentations qui depuis vingt années retentissent à nos oreilles comme un chant de l’enfer ? Ce que Byron et tant d’autres avec lui nous ont révélé de douleurs était implicitement renfermé dans les aveux de Fontenelle et de Voltaire. Il était évident que la réalité étant si triste, et la Nature nous ayant laissés à la merci de tant de maux, une fois que nous ne croirions plus qu’à la réalité présente et à la Nature, nous serions désespérés. Confessons donc franchement que le bonheur nous est refusé, du moins dans notre vie actuelle. Et comment en effet pourrions-nous le rencontrer en cette vie, et, comme on dit, sur cette terre, où habite avec nous la douleur et la mort ? Tout ce que nous aimons étant périssable, nous nous |