Le Bonheur est en vous synthèse de mouvement et de repos, ce qui fait que la conscience étant à la fois unité et dynamisme, nous pouvons parler, derrière R. Misrahi d’« Individu-corps », au sens où l’unification du corps et de l’esprit se fait par la conscience. Nous voyons donc que Spinoza n’instaure aucun rapport de supériorité de l’esprit sur le corps. Ou inversement. La doctrine de Spinoza précise que la conscience est le lieu de la connaissance du corps par l’esprit. Les idées sont produites par l’esprit, et les mouvements par le corps. La thèse du parallélisme est ici la plus éclairante. Le corps n’est alors pas conscience de ses affections, mais l’esprit l’est pour le corps. On ne peut pour autant dire qu’il y a dans la doctrine spinoziste une supériorité de l’esprit sur le corps. Certes, les affections sont dans la conscience, mais cela ne veut pour autant dire que l’esprit en a des idées adéquates, c’est-à-dire une connaissance claire et globale. D’où un problème important que R. Misrahi soulève par ailleurs : « Comment passe-t-on de la conscience des affections du corps à la connaissance vraie de ces affections ? Comment est-ce possible ? » La réponse de Spinoza sera de nous convier au passage à trois niveaux réflexifs : – le premier niveau de la conscience s’en tient au corps et ses affections, – le deuxième niveau qui un renouvellement nous invite à réfléchir sur c’est-à-dire avoir un niveau de connaissance du contenu de la conscience, « Comment passe-t-on de la conscience des affections du corps à la connaissance vraie de ces affections ? Comment est-ce possible ? » – le troisième niveau requiert avant tout une nouvelle démarche méthodologique, c’est-àdire non seulement saisir réflexivement le contenu de chaque idée, mais aussi l’intégrer dans « un travail de comparaison et de systématisation » afin « de dégager une vérité, un 40 Philosophie pratique sens, et non plus seulement une suite de données isolées et discontinues(29) ». La compréhension du corps ne se fait donc pas à partir de la conscience du corps, mais à partir de la réflexion sur cette conscience, nous dit R. Misrahi. § 2. L’individu désirant Nous pouvons à présent comprendre le rôle fondamental du corps dans la doctrine spinoziste. L’« esprit humain » est cette conscience de soi rendue possible grâce à notre conscience du corps et de ses affections. C’est donc l’aspect immédiatement dynamique qui définit l’individu. Pourquoi ? Parce-que c’est dans un mouvement temporel que l’on situe la conscience du corps et de sa vie de l’individu, c’est-à-dire dans l’effort à persévérer dans l’être (conatus). Cet effort pour exister qui est l’essence concrète de la réalité humaine assoit la place du corps dans l’unité spinoziste, puisque la conscience, qui ne saurait être seulement statique et représentative, devient conscience de cet effort dynamique d’exister, et donc des modifications du corps. « C’est dire, écrit R. Misrahi, que, pour Spinoza, nous sommes toujours conscients de notre effort pour exister, quel que soit par ailleurs le niveau de connaissance et de lucidité où nous nous situons(30). » Or, si l’existence de l’homme est conatus, force d’exister, son essence, qui est l’énergie la plus concrète, nous amène à la rencontre du Désir. Concrètement, le Désir est l’essence de l’homme(31). Or, le Désir n’est pas abstrait, mais mouvement concret. C’est-à-dire un mouvement concret d’accroissement ou de réduction. Il est soit accroissement de la puissance d’exister qui est la Joie, soit diminution de la puissance d’exister qui est donc la Tristesse. De ce parallélisme ou synchronisme entre le corps et l’esprit, on peut désormais percevoir une réhabilitation des passions. Jusqu’ici l’on avait coutume de dire que lorsque le corps agissait, l’âme pâtissait. À présent, « chacune des puissances d’exister (celle du corps, celle de l’esprit) est l’expression, dans son langage et son domaine d’une seule puissance d’exister qui est celle du conatus et du Désir(32). » En repositionnant le |