Le Bonheur est en vous MÉLANCOLIE ET SUPÉRIORITÉ DE L’ESPRIT 4 Philosophie pratique PAR CLAIRE FERCAK La mélancolie est une notion vaste et largement évoquée dans divers domaines tels que la littérature ou la médecine. Dans La vie et l’art d’Albrecht Dürer, Panofsky insiste sur le fait qu’elle était considérée comme une maladie effrayante, dévaluée dans les manuels de médecine avant la gravure sur cuivre Melencolia I de Dürer qui devient la représentation de la génialité mélancolique. La mélancolie n’est alors plus perçue comme un état dépressif, morose et pesant ; elle est au contraire l'énergie du génie profane dans les mondes rationnels et puissances imaginatives, par la supériorité d’une sensibilité particulière aux êtres et aux choses, dans l’art, les sciences et la philosophie. Cet état fragile et clairvoyant avait été étudié bien avant par Aristote qui faisait le lien entre la puissance mélancolique et l’homme de génie dans ses Problèmes. Cette notion où philosophie et médecine se rencontrent engage la relation âme/corps, le rapport à autrui, à la société et a été traitée par grand nombre d’auteurs (médecins, philosophes, poètes, psychanalystes). Nous avons choisi de l’étudier à travers deux ouvrages qui nous semblent importants dans l’évolution de la considération philosophique portée à la mélancolie comme puissance créative et contemplative : le Problème XXX d’Aristote qui a donné lieu à de nombreuses discussions sur le caractère positif de cette humeur considérée comme pathologique, et le traité des symptômes et thérapeutiques du caractère saturnien La Triple Vie de Marsile Ficin (1433-1499), un des premiers à donner à la théorie aristotélicienne une tournure astrologique, faisant de la Renaissance italienne du XVe siècle la première époque qui saisit toute la portée et le sens du Problème XXX afin de le discuter, et l’investir de sens nouveaux. Des textes fondateurs L’humanisme italien réaffirma un idéal né dans l’Antiquité classique où la mélancolie marque le lien entre une physique ou une physiologie et l’état de la pensée. Les textes, pourtant anciens que nous allons étudier, sont à l’origine de la conception moderne de la notion de génie qui oscille entre exaltation et dépression. On oppose généralement en philosophie les émotions, passions instables et l’élévation de l’esprit. C’est pourquoi nous allons essayer de rendre compte du paradoxe soulevé par l’association de la mélancolie qui peut se rapprocher de la folie sous bien des effets et produire de nombreuses maladies, et la puissance de l’esprit de l’homme de génie. En effet, comment d’une telle inconstance mélancolique peut naître un discours cohérent et éclairé sur l’être ? Nous essaierons donc de déterminer le lien entre connaissance et affectivité, c’est- |