Le Bonheur est en vous sance de l’homme. C’est la modernité de Spinoza que R. Misrahi ne manque pas de souligner. Mais ce que l’on doit également retenir, dans le travail d’élaboration de la relation entre le corps et l’esprit de Spinoza, c’est toute la part anthropologique que cela introduit. Afin d’être précis, tâchons d’éclaircir ce point avant de continuer. La démarche de Spinoza, nous dit R. Misrahi, est anthropologique au sens où elle dessine une véritable « science de l’homme » en analysant la structure de l’homme comme telle, c’est-à-dire esprit et corps, et par ailleurs, qu’il définit l’essence de l’homme à partir du Dans cette unité du tout de la réalité, il s’agit de se défaire des concepts d’âme, de faculté et de libre-arbitre, ce qui nous permet de nous soustraire aux préjugés finalistes religieux, et de concevoir une anthropologie appuyée sur un système rationnel et démonstratif solide. Désir – d’abord non rationnel, puis rationalisé et libéré. Cette rationalisation du Désir doit être à la fois entendue à partir d’une connaissance rationnelle de l’homme, et de ses actions – qu’elles soient libres et réfléchies ou dépendantes de la passion et de la servitude, c’est-à-dire motivées par l’imagination (nous y reviendrons plus loin). §4. Le système de la Nature Construire une anthropologie implique une double exigence : se libérer de la superstition et établir un examen rigoureux de la Nature, c’est-à-dire une connaissance adéquate des principes et des lois qui s’appliquent à la nature, sans quoi il est impossible de bâtir une anthropologie. Il est à noter que pour Spinoza, il n’y a qu’une seule nature et, au sein de celleci, l’homme ne saurait être un empire dans un empire. Dans cette unité du tout de la réalité, 36 Philosophie pratique il s’agit de se défaire des concepts d’âme, de faculté et de libre-arbitre, ce qui nous permet de nous soustraire aux préjugés finalistes religieux, et de concevoir une anthropologie appuyée sur un système rationnel et démonstratif solide exprimant les grandes lignes de la structure de la nature. Mais avant d’aller plus avant, et d’aborder le problème de la doctrine du corps et de l’esprit, il nous faut prêter attention aux grandes lignes du système spinoziste de la Nature que met en lumière R. Misrahi. C’est-à-dire entrer dans un texte de géométrie établit à partir d’une méthode discursive qui se présente de manière aussi démonstrative que celle des mathématiciens. Tâchons de nous rappeler : Spinoza entend résoudre un dualisme cartésien piégé par son mécanisme. Voulant créer une anthropologie philosophique, il souhaite rendre compte de toute la réalité. Aussi, commence-t-il par le commencement logique, c’est-à-dire par présenter la substance qui n’est autre que l’Être, substance absolue, inséparable du monde, et rigoureusement immanent. Étant la somme ontologique de ce monde-ci, la substance est auto-suffisante, unique et infinie. Aussi exprime-t-elle que rien en dehors de ce monde n’existe, et pose-t-elle comme réalité à propos d’elle-même, un état d’immanence totale. Pour reprendre l’idée de G. Deleuze, nous dirons derrière ce dernier que « la Nature dite naturante (comme substance et cause) et la Nature dite naturée (comme effet et mode) sont prises dans des liens d’une mutuelle immanence : d’une part, la cause reste en soi pour produire ; d’autre part, l’effet ou le produit reste dans la cause(15) ». Aussi, mettant un terme à l’ancien dualisme métaphysique, Spinoza fait de Dieu, à l’inverse des religions monothéistes qui le projettent hors du monde, un être qui n’est en aucune manière séparable de ce monde. Libéré des problèmes insolubles qui s’opposaient aux doctrines des théologiens, Spinoza peut désormais, grâce à la définition du Dieu-Nature, constituer les fondements d’une nouvelle anthropologie. D’autant qu’il a également réglé le problème de la nature cartésienne qui n’avait presque pas d’être, pas de force propre |