Philosophie pratique n°3 jui/aoû/sep 2010
Philosophie pratique n°3 jui/aoû/sep 2010
  • Prix facial : 4,90 €

  • Parution : n°3 de jui/aoû/sep 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : Lafont Presse

  • Format : (180 x 250) mm

  • Nombre de pages : 84

  • Taille du fichier PDF : 15 Mo

  • Dans ce numéro : le Bonheur est en vous.

  • Prix de vente (PDF) : 1 €

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Le Bonheur est en vous Dans « Encore des changements », le sujet qui souffre se voit imposer des métamorphoses successives, mais on comprend au fil du texte que ces dernières sont à la fois subies et volontaires : « À force de souffrir, je perdis les limites de mon corps et me démesurai irrésistiblement. […] Ah ! qui me laissera tranquille quelque temps ? Mais non, si je ne bouge pas, c’est que je pourris sur place, et si je bouge c’est pour aller sous les coups de mes ennemis… Mois je ne peux me faire à la souffrance. » Par la magie de mes mots et de l’imagination, le sujet devient tour à tour un animal, des « choses », des « ensembles tellement factices », de « l’impalpable ». Le texte construit donc une figure de sujet multiple, protéiforme, faisant disparaître les frontières entre les règnes (végétal, humain, 28 Philosophie pratique minéral, animal) : un sujet défiguré. Cette figure de sujet défiguré, mélancolique, est également mise en scène dans « Petit » où le locuteur à la fois maudit et intouchable est irréductible à un corps, à l’image du corps, se perçoit de manière presque délirante, comme un être infiniment petit vivant dans l’ailleurs de l’espace intérieur, ou dans « Un chiffon » qui s’ouvre ainsi : « J’ai rarement rencontré dans ma vie des gens qui avaient besoin comme moi d’être regonflés à chaque instant. » On assiste dans ce texte à l’élaboration d’une figure d’hommeballon de baudruche, et le poète joue sur le sens propre du mot « chiffon » – filant la métaphore tout au long du texte –, et sur le sens figuré plus complexe, qui dessine un sujet inadapté, préoccupé à remplir, combler ce vide existentiel, un sujet solitaire, fragile, paranoïaque, un bouc émissaire, une « boule » fer-
mée sur elle-même (« Des gens comme moi, ça doit vivre en ermite, c’est préférable. »), bref un dépressif narcissique. Là encore, ce « Je » est défiguré car c’est un chiffon (autrement dit un rebus, un objet prosaïque, sale, informe, boueux) ou un ballon : le lecteur est plongé dans l’univers de la bouffonnerie, du cirque, de l’absurde, un monde à la Charlie Chaplin car cet être est lui aussi « célibataire et vagabond », il « échoue en tout, est mis à la porte de partout, a tout le monde a dos », mais « suit toujours son idée ». La défiguration se lit pour finir dans « Bétonné » qui bâtit une étrange figure d’hommestatue symbolisant sans doute l’inadaptation du sujet au monde, ses réactions tant physiologiques que psychologiques : « … il suffit parfois d’un rien, mon sang tourne en poison et je deviens dur comme du béton. » Remarquons qu’une fois encore le poète joue avec les sens propre et figuré de « bétonné » et expose les diverses métamorphoses que subit ce sujet défiguré, seulement il n’use pas du langage de la psychologie, de l’intériorité, et préfère des images liées à l’organique, des images poétiques dont l’éclat est particulièrement sobre et subtil. « … cependant je commence à m’amollir […] On voit comme des galets venus sous la peau. Ils s’amoindrissent et bientôt se dissolvent […] je ne peux supporter qu’on me voie nu. Il y a encore quelques minutes d’un silence opaque que je ne saurais raconter. » Enfin, la mélancolie se rapproche de la folie dans « Un homme perdu », qui donne à voir un sujet plongé dans une solitude sans appel, métaphysique : cet être se trouve immergé dans un monde dénué de tout (une « plaine ») et placé face à des « roues » – incarnation des Autres, du destin – il crie son angoisse et son désespoir, tel Sisyphe aux Enfers condamné à rouler éternellement son rocher : « Roue, ne m’écrase pas. […] Et personne n’intervient. Et rien ne peut arrêter ça ! Je resterai là jusqu’à ma mort. » Il semble ainsi évident qu’une posture mélancolique se dessine dans le recueil, et l’on peut même se demander dans quelle mesure Michaux ne fournit pas de cette manière une défense et illustration des mélancoliques, telle La mélancolie, abîme du génie créatif qu’elle apparaît explicitement dans « Un homme prudent » : « Il songeait souvent au nombre de personnes qui ont aussi des dépôts en eux, l’un de chaux, l’autre de plomb, l’autre de fer (et l’on extrayait encore dernièrement une balle dans le cœur de quelqu’un qui n’avait Ce texte nous semble en effet allégorique puisqu’il évoque des personnes incomprises, dépressives, malades ou différentes, ayant en eux des « dépôts », c’est à dire des séquelles, des traumatismes, des blessures, des maladies, des corps étrangers qui les défigurent. jamais connu la guerre). Ces personnes marchent avec prudence. C’est ce qui les signale au public, qui en rit. Mais eux s’en vont, prudents, prudents, à pas prudents… » Ce texte nous semble en effet allégorique puisqu’il évoque des personnes incomprises, dépressives, malades ou différentes, ayant en eux des « dépôts », c’est à dire des séquelles, des traumatismes, des blessures, des maladies, des corps étrangers qui les défigurent. Tous ces commentaires nous amènent donc à dresser un tableau bien singulier de la mélancolie chez Michaux : c’est une angoisse désespérée face à la solitude métaphysique du sujet, face à sa « minceur » pour paraphraser Pierre Pachet, un sentiment d’échec, de petitesse et de dénuement qui peut conduire à des reproches adressées à soi-même, ou à une violente agressivité (une dépression objectale), un enfermement purement narcissique, voire autistique, révélé par une forme d’incommunicabilité avec autrui et une difficulté à se laisser pénétrer par le monde extérieur hostile, une terrible fatigue physique et mentale qui dégonfle et amaigrit le sujet, c’est pour finir, à la fois une horreur et une prodigieuse Philosophie pratique 29



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