Philosophie pratique n°3 jui/aoû/sep 2010
Philosophie pratique n°3 jui/aoû/sep 2010
  • Prix facial : 4,90 €

  • Parution : n°3 de jui/aoû/sep 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : Lafont Presse

  • Format : (180 x 250) mm

  • Nombre de pages : 84

  • Taille du fichier PDF : 15 Mo

  • Dans ce numéro : le Bonheur est en vous.

  • Prix de vente (PDF) : 1 €

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Le Bonheur est en vous dépressif : « Je cherche à écrire des choses qui m’exciteraient, me rendraient joyeux, ou même malheureux, mais qui me sortiraient de ces propos de déprimé, et de la… nuit ! au lieu du tragique à m’en donner la diarrhée moimême », écrit Michaux à Paulhan en 1935 après relecture du Barbare en Asie et de La nuit remue. Ce sentiment que ses écrits sont le fruit d’un état mélancolique, c’est-à-dire empreints d’inhibition et dépourvus de vigueur, Michaux l’avait d’ailleurs déjà suggéré dans sa dédicace à Georgette Fourcade – la femme de son éditeur – en 1929 : « Voici toujours Mes Propriétés. Je vais me mettre sérieusement à jardiner et un jour je vous offrirai quelque chose qui sera agréable à la vue. Sans doute vous ne me voyez pas en jardinier, ni en 24 Philosophie pratique fleuriste. Mais je veux de toute façon vous inviter dans des propriétés moins inhumaines. Excusez donc encore cette fois-ci, votre ami H.M. » En fait, Michaux souhaite sortir de cet état et rêve même d’écrire non « à base de dépression, mais plutôt de fureur lucide » (lettre à Paulhan, Anvers, le 27 Déc. 1936). Or, les deux coexistent dans son œuvre, car comme le rappelle Nietzsche dans La naissance de la tragédie, la force et la douleur entretiennent des rapports ambigus : s’intéressant dans son livre au rapport qu’entretient le Grec à la douleur, Nietzsche en effet, se demande si « sa demande de beautés, de fête est née du manque, du dénuement, de la mélancolie » ; mais alors « d’où proviendrait la demande op-
La mélancolie, abîme du génie créatif posée de laideur, l’image du terrible, le destructeur au fond de l’existence » ? Cette interrogation le conduit alors à se demander s’il existe des « névroses de la santé ». En tout cas, La nuit remue et plus particulièrement « Mes propriétés », le premier recueil poétique de l’auteur, témoignent de cette tension, comme le signale d’emblée le péritexte. En effet, un titre comme « La nuit remue » revêt l’apparence d’une véritable alliance de mots : la nuit fait allusion à l’enfer de l’angoisse, et le verbe « remuer » à la vie – la formule faisant d’ailleurs écho à cette fameuse périphrase de Bataille qui désigne le désespoir : « La profonde descente dans la nuit de l’existence. » De même, « Mes Propriétés » évoquent un espace, un dehors mental, autrement dit un lieu innommable, un point d’intersection entre réalité psychique et réalité matérielle, entre désirs intimes et monde extérieur hostile, c’est aussi le « territoire familier » au cœur duquel se loge l’espace autre du dedans. Les titres de certaines sections, « A Rotten life » ou une « Vie de chien », ont également une connotation mélancolique, dépressive. Rappelons aussi que Michaux avait surnommé les textes composant son recueil des « cauchemars », ce qui souligne bien leur caractère angoissant… Pour finir, la postface est éclairante : « … par hygiène, peut-être, j’ai écrit « Mes propriétés », pour ma santé. […] Il arrive… à certains malades un tel manque d’euphorie, une telle inadaptation aux prétendus bonheurs de la vie, que pour ne pas sombrer, ils sont obligés d’avoir recours à des idées entièrement nouvelles » … Puis l’auteur s’associe alors aux « faibles, aux malades et maladifs, aux enfants, aux opprimés et inadaptés de toute sorte », aux « imaginatifs souffrants, involontaires perpétuels ». Raymond Bellour commente ainsi cette écriture « de santé » qui n’a rien de volontaire : pour Michaux, il s’agit d’écrire « pour vivre en ménage avec son mal », pour « guérir », pour « savoir ce qui finalement est inguérissable », bref de « savoir et de guérir par ce savoir ». Plus tard dans Passages enfin, Michaux écrira : « Un écrivain est un homme qui sait garder le contact, qui reste joint à son trouble, à sa région vicieuse mal apaisée. Elle le porte. » Toutes ces remarques nous incitent donc à penser qu’à l’origine de l’écriture de Michaux, se trouve un vide insoutenable, une solitude innommable, une forme de mélancolie. Entrons donc à petits pas dans Mes Propriétés. un titre comme « La nuit remue » revêt l’apparence d’une véritable alliance de mots : la nuit fait allusion à l’enfer de l’angoisse, et le verbe « remuer » à la vie Dès le premier texte qui ouvre le recueil, justement intitulé « Mes propriétés », le désespoir semble être la condition préalable à un désir de bouger, d’inventer : « Si je m’obstine, ce n’est pas bêtise. C’est parce que je suis condamné à vivre dans mes propriétés et qu’il faut bien que j’en fasse quelque chose. » Ces propriétés désignent un espace mental informe marqué par le dénuement : « tout est plat », « rien ne bouge », il n’y a « nulle ombre », bref ces propriétés sont « pauvres » comparées à « un tunnel bas », de la « boue » ou du « sable ». Surtout, le locuteur ne peut sortir de cet espace intérieur morbide, cet enfermement est vécu comme un destin et implique un désintérêt pour le monde extérieur, ce qui est une des caractéristiques du mélancolique d’après Freud. Pour lutter contre cet état, l’activité de l’imaginaire se trouve fort développée, et le monde extérieur hostile est un peu sollicité, mais sans grand succès : « Souvent je voulus y déposer de belles avenues, je ferais un grand parc… D’autres fois (c’est une manie chez moi, inlassable, et qui revient après tous les échecs), j’essaie de transporter dans ma propriété [un élément de la vie extérieure] … [Si bien que] parfois ça s’anime, de la vie grouille. » Certes, le narrateur se trouve parfois plein d’entrain, bref « s’énerve » … La persistance, la réitération du désir est de ce fait remarquable, pourtant cet élan vital se trouve mis à Philosophie pratique 25



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