Philosophie pratique n°3 jui/aoû/sep 2010
Philosophie pratique n°3 jui/aoû/sep 2010
  • Prix facial : 4,90 €

  • Parution : n°3 de jui/aoû/sep 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : Lafont Presse

  • Format : (180 x 250) mm

  • Nombre de pages : 84

  • Taille du fichier PDF : 15 Mo

  • Dans ce numéro : le Bonheur est en vous.

  • Prix de vente (PDF) : 1 €

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Le Bonheur est en vous dans l’œuvre, c’est la Chose maternelle, mais marquée de négativité (non la chose originelle). Ainsi, l’œuvre demeure-t-elle « exil de la plénitude corporelle mythique, tout en étant pourtant plénitude par l’écriture, lieu d’une jouissance absolue rétablissant la Chose comme Autre réel », ou encore « réel de jouissance pris dans l’ordre symbolique du monde ». On comprend mieux dès lors les formules de Lacan : « L’écrit, c’est la jouissance », la « jouissance de la langue », ainsi que « Je pense donc se jouit » (référence à Descartes qui pratique le doute méthodique jusqu’à la rupture, c’est-à-dire jusqu’à la découverte d’une parcelle de vérité absolue résumée ainsi : l’homme, dans la certitude ponctuelle du cogito, se fait l’égal de Dieu l’espace d’un instant). Cette jouissance pure de la Chose pose le Nom-du-Père comme signifiant, en deçà de la castration qu’elle ouvre, et au-delà, dans l’unité reconstituée par le travail spirituel ; elle est située autant dans le corps que dans l’esprit, et permet de fixer l’être à l’état naissant, entre vide et plénitude. Le sujet écrivant, en position d’Autre, fait advenir le sens (une forme de vérité), tandis que comme Chose, le créateur se dessaisit de sa subjectivité pour se faire lui-même le déchet de l’acte de production de l’œuvre : il devient Le sujet écrivant, en position d’Autre, fait advenir le sens (une forme de vérité), tandis que comme Chose, le créateur se dessaisit de sa subjectivité pour se faire lui-même le déchet de l’acte de production de l’œuvre. 22 Philosophie pratique impersonnel, effacé (à l’exemple de Cézanne ou de Mallarmé). C’est ainsi que le créateur fait émerger un instant porteur de nouveau qui rompt la rationalité prévisible du temps du monde, et restitue la positivité du temps « réel ». Cet instant, « illumination » (Rimbaud), « saisie de la pure sensation » (Cézanne), « voix de la mer » (Woolf), ou « vision » (Proust), écartèle l’artiste, lequel n’existe que dans l’acte de la déchirure qui l’engendre. Le lecteur ou spectateur est ainsi entraîné dans un lieu insaisissable : « lieu de carence où l’œuvre d’art trouve son origine en tant qu’elle est portée par un principe de mort », lieu d’une « inquiétante étrangeté », à l’image d’un monde moderne morcelé depuis « la mort de Dieu ». Ainsi en témoignent les œuvres de Virginia Woolf, Flaubert, Proust, Duras, Cézanne, Giorgio de Chirico, Munch, Picasso, Bacon, etc. Reflet de la modernité, la mélancolie semble continuer à s’accroître dans nos sociétés, comme le constate le sociologue Alain Ehrenberg, qui considère que le passage de la référence à la discipline, de la morale du devoir, à l’individualisme et l’autonomie, a entraîné une insécurité identitaire, une perte de sa propre valeur, et une difficulté à agir (La fatigue d’être soi – Dépression et société). On l’a compris, la mélancolie, qui désigne « un spectre de problèmes allant de la mélancolie avec ses délires de culpabilité, à l’individu à plat qu’il convient de regonfler un peu » n’est pas seulement une affection physiologique ou psychique, c’est aussi une maladie culturelle. Les figures de la mélancolie sont si multiples qu’on doit s’interroger sur leur unité. Dès l’origine, la mélancolie, qui est à la fois une physiologie et une psychologie, jette un pont entre âme et corps, et donc entre esprit et matière, entre pensée et création. D’après Jean Clair (qui a organisé l’actuelle exposition sur les artistes de la Mélancolie au Grand Palais), la mélancolie serait même le « substrat de l’idée que l’on se fait de la création artistique en Occident ». Au delà des définitions et typologies, faut-il voir la mélancolie comme une clef de l’énigme du génie créateur ? Sans entrer dans l’image d’Épinal de l’artiste génial et maudit, de quoi témoigne au juste la fameuse et sublime oxymore du « soleil noir » ? Le soleil noir de la mélancolie Le texte Problèmes réhabilité par Marsile Ficin et attribué à Aristote, associait pour la première fois génie créateur et tempérament
mélancolique : les hommes d’exception ont toujours été des mélancoliques, oscillant entre des états de grande dépression et des accès de grande agitation (ce qu’on nomme aujourd’hui la « bipolarité » ou « psychose maniaco-dépressive »). Comment ranimer ce vieux débat entre génie et folie en passe de devenir lieu commun ? Selon l’expression de Kierkegaard, la mélancolie est plongée dans « l’abîme du profond désespoir ouvert entre le désir d’absolu et l’objet insaisissable qui lui correspond » : cet objet « manque », au sens objectif et subjectif du terme. Dans la suite de Kierkegaard, Romano Guardini voit dans la mélancolie l’expérience humaine du vide métaphysique qui fait « chercher dans les choses passionnément et partout ce qu’elles ne possèdent pas. Car les choses sont finies ». Pour Panofsky (étude autour de la Melencholia I de Dürer), la mélancolie transcende les distinctions entre tempérament, maladie et enthousiasme créateur, et possède une unité que l’on repère aisément dans l’expérience humaine de l’excès. Cette unité contredit donc le principe de dissociation des formes de mélancolie (non inspirée/pathologique, ou noble) qui appliquait la traditionnelle trilogie des facultés de l’âme (imagination, raison, contemplation). Et en effet, à la conception de l’esprit conditionné par chacune de ces facultés, il faut faire correspondre celles du psychisme, constitué par les trois dimensions de l’être dégagées par Lacan : réel, symbolique et imaginaire. On comprend alors que la mélancolie (ce mixte de désespoir et de fureur divine inspirée) participe des trois, car elle suggère l’univers subjectif de la psychose, (l’immersion du sujet dans le réel, cet impensable d’une réalité hors signifié non symbolisée, atemporelle, en deçà du monde perceptif avec sa stabilité et sa cohérence) ; elle renvoie à « l’expérience de plénitude leurrante d’une imagination du réel corporel posé comme unité immédiate sans faille, tandis que se produit l’horreur de l’hallucination comme coupure, et le surgissement mortel de l’évidence du négatif » (Anne Juranville, La Femme et la mélancolie). La mélancolie, abîme du génie créatif La mélancolie possède donc la spécificité d’être en rapport avec toutes les expériences extrêmes : l’absolu, le deuil, la vie ordinaire et la création bien sûr. Selon l’expression de Kierkegaard, la mélancolie est plongée dans « l’abîme du profond désespoir ouvert entre le désir d’absolu et l’objet insaisissable qui lui correspond » : cet objet « manque », au sens objectif et subjectif du terme. « Folie » mélancolique et création relèvent de la commune démesure qu’est le refus de renoncer à l’absolu, de faire son deuil de l’objet perdu, d’entrer dans la finitude et le processus de symbolisation (laquelle consiste à accepter l’émergence du sujet et de son aptitude à désirer, à souscrire aux lois de ce monde en brisant la jouissance mythique de l’Un, à accomplir le meurtre de la Chose qui fait advenir l’être comme séparé). Toutes deux expriment la douloureuse nécessité d’une existence souveraine, hors de toutes les normes communes. Et, s’il existe une « positivité de l’imaginaire », comme le dit Lacan, c’est dans l’art qu’elle se manifeste le plus merveilleusement : « Les grands créateurs, portés par une passion, témoignent avec hauteur que, pour créer, il ne faut pas céder sur l’absolu. » Mais quelle est au juste la nature du lien entre la dépression et cette « passion » ? Autrement dit, quel rapport la mélancolie entretient-elle avec le Désir ? Il est temps de sortir des généralités et d’entrer dans la singularité d’une œuvre. Mes Propriétés de Henri Michaux est justement un lieu sombre et brillant, humblement éclairant. Entre mélancolie et désir Très tôt dans son œuvre, Michaux lui-même met en rapport l’énergie créatrice avec l’état Philosophie pratique 23



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