Le Bonheur est en vous dans l’œuvre, c’est la Chose maternelle, mais marquée de négativité (non la chose originelle). Ainsi, l’œuvre demeure-t-elle « exil de la plénitude corporelle mythique, tout en étant pourtant plénitude par l’écriture, lieu d’une jouissance absolue rétablissant la Chose comme Autre réel », ou encore « réel de jouissance pris dans l’ordre symbolique du monde ». On comprend mieux dès lors les formules de Lacan : « L’écrit, c’est la jouissance », la « jouissance de la langue », ainsi que « Je pense donc se jouit » (référence à Descartes qui pratique le doute méthodique jusqu’à la rupture, c’est-à-dire jusqu’à la découverte d’une parcelle de vérité absolue résumée ainsi : l’homme, dans la certitude ponctuelle du cogito, se fait l’égal de Dieu l’espace d’un instant). Cette jouissance pure de la Chose pose le Nom-du-Père comme signifiant, en deçà de la castration qu’elle ouvre, et au-delà, dans l’unité reconstituée par le travail spirituel ; elle est située autant dans le corps que dans l’esprit, et permet de fixer l’être à l’état naissant, entre vide et plénitude. Le sujet écrivant, en position d’Autre, fait advenir le sens (une forme de vérité), tandis que comme Chose, le créateur se dessaisit de sa subjectivité pour se faire lui-même le déchet de l’acte de production de l’œuvre : il devient Le sujet écrivant, en position d’Autre, fait advenir le sens (une forme de vérité), tandis que comme Chose, le créateur se dessaisit de sa subjectivité pour se faire lui-même le déchet de l’acte de production de l’œuvre. 22 Philosophie pratique impersonnel, effacé (à l’exemple de Cézanne ou de Mallarmé). C’est ainsi que le créateur fait émerger un instant porteur de nouveau qui rompt la rationalité prévisible du temps du monde, et restitue la positivité du temps « réel ». Cet instant, « illumination » (Rimbaud), « saisie de la pure sensation » (Cézanne), « voix de la mer » (Woolf), ou « vision » (Proust), écartèle l’artiste, lequel n’existe que dans l’acte de la déchirure qui l’engendre. Le lecteur ou spectateur est ainsi entraîné dans un lieu insaisissable : « lieu de carence où l’œuvre d’art trouve son origine en tant qu’elle est portée par un principe de mort », lieu d’une « inquiétante étrangeté », à l’image d’un monde moderne morcelé depuis « la mort de Dieu ». Ainsi en témoignent les œuvres de Virginia Woolf, Flaubert, Proust, Duras, Cézanne, Giorgio de Chirico, Munch, Picasso, Bacon, etc. Reflet de la modernité, la mélancolie semble continuer à s’accroître dans nos sociétés, comme le constate le sociologue Alain Ehrenberg, qui considère que le passage de la référence à la discipline, de la morale du devoir, à l’individualisme et l’autonomie, a entraîné une insécurité identitaire, une perte de sa propre valeur, et une difficulté à agir (La fatigue d’être soi – Dépression et société). On l’a compris, la mélancolie, qui désigne « un spectre de problèmes allant de la mélancolie avec ses délires de culpabilité, à l’individu à plat qu’il convient de regonfler un peu » n’est pas seulement une affection physiologique ou psychique, c’est aussi une maladie culturelle. Les figures de la mélancolie sont si multiples qu’on doit s’interroger sur leur unité. Dès l’origine, la mélancolie, qui est à la fois une physiologie et une psychologie, jette un pont entre âme et corps, et donc entre esprit et matière, entre pensée et création. D’après Jean Clair (qui a organisé l’actuelle exposition sur les artistes de la Mélancolie au Grand Palais), la mélancolie serait même le « substrat de l’idée que l’on se fait de la création artistique en Occident ». Au delà des définitions et typologies, faut-il voir la mélancolie comme une clef de l’énigme du génie créateur ? Sans entrer dans l’image d’Épinal de l’artiste génial et maudit, de quoi témoigne au juste la fameuse et sublime oxymore du « soleil noir » ? Le soleil noir de la mélancolie Le texte Problèmes réhabilité par Marsile Ficin et attribué à Aristote, associait pour la première fois génie créateur et tempérament |