Philosophie pratique n°3 jui/aoû/sep 2010
Philosophie pratique n°3 jui/aoû/sep 2010
  • Prix facial : 4,90 €

  • Parution : n°3 de jui/aoû/sep 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : Lafont Presse

  • Format : (180 x 250) mm

  • Nombre de pages : 84

  • Taille du fichier PDF : 15 Mo

  • Dans ce numéro : le Bonheur est en vous.

  • Prix de vente (PDF) : 1 €

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Le Bonheur est en vous Exprimant un combat entre angoisse et espérance emprisonnée, le spleen baudelairien devient « absence et vaporisation » cœur ennuyé et « voluptueuse tristesse », n’est pas le « mal du siècle », ni la mélancolie byronienne. L’époque romantique voit émerger une véritable idéologie du génie mélancolique, ainsi qu’une esthétique de la mélancolie : recherche du beau dans la tristesse nostalgique comme étant susceptible de favoriser la création, culture de ces états dans le but de se constituer une persona artistique fertile en création et posture pessimiste affirmant le droit à la subjectivité personnelle (Gœthe), mal du siècle, aspiration à un absolu de type transcendantal, à un idéal. Baudelaire a conservé le vocabulaire qu’un demi-siècle de poésie lui avait préparé, et notamment le terme de « spleen » (ayant une origine étymologique et géographique), mais en le réactualisant – se différenciant ainsi des représentants du premier romantisme comme Chateaubriand ou Musset : Baudelaire s’éloigne d’une posture conventionnelle pour capter des façons modernes d’être et de souffrir. Exprimant un combat entre angoisse et espérance emprisonnée, le spleen baudelairien devient « absence et vaporisation », l’ennui se métamorphose en théâtre du sadisme, en un vice écœurant signe de l’élection satanique, enfin la mélancolie désigne plus une distance qu’une absence (le « paradis révélé » se trouve trop loin). Ces termes employés par Baudelaire, « le plus grand poète de la Douleur, de la Douleur toujours recommencée » (confie Guy Sagnes dans son étude sur L’Ennui dans la littérature française de Flaubert à Laforgue) composent donc un autre visage de la mélancolie. Le va-et-vient entre arts et science observé dès l’Antiquité se poursuit avec la naissance de la psychiatrie au début du XIXe siècle, qui tente 20 Philosophie pratique d’appréhender scientifiquement la mélancolie, puis de la psychanalyse. En 1915, Freud écrit son texte « Deuil et mélancolie », à la suite de « Pour introduire le narcissisme » : il rappelle que la mélancolie se présente sous des formes cliniques diverses (il n’y a donc pas de cas typique) et qu’elle peut être ancienne ou déclenchée par un événement traumatisant : il y a des mélancolies simples, à accès unique, ou périodiques, mais il y a d’autre part, des mélancolies dans lesquelles les occasions extérieures jouent un rôle étiologique évident (ce sont celles qui surviennent soit à la suite de la mort d’un être aimé, soit à la suite de circonstances qui ont déterminé le détachement de la libido d’un objet aimé). En tous cas, « la mélancolie se caractérise par une dépression : plus d’intérêt pour le monde extérieur, incapacité d’aimer, inhibition de toute activité, manque d’estime de soi (allant jusqu’à l’attente délirante du châtiment) ». « Le moi est devenu vide, moralement condamnable » et malgré parfois une « grande acuité », c’est la « défaite de la pulsion de vie ». Donc pour Freud, la mélancolie est une maladie du moi, à l’endroit même où s’inscrit la pulsion de mort. Son processus est le suivant : la libido est liée à un objet (une personne aimée), seulement cette relation est ébranlée. Alors, au lieu de retirer le désir, de le déplacer sur autre chose, la libido se retire dans le moi, et le moi s’identifie (narcissiquement) à l’objet perdu. Se produit alors un clivage : une partie du moi critique l’autre devenue un objet. La mélancolie emprunte donc au travail de deuil et au processus de régression, et pour que la dépréciation cesse, il faudra que le moi redevienne supérieur à l’objet. À la suite de Freud, Julia Kristéva dans Soleil noir reprendra une question laissée, d’après elle, en suspens dans Métapsychologie en se demandant si « une perte du moi sans que l’objet entre en ligne de compte (une affection purement narcissique du moi) ne suffit pas à produire le tableau de la mélancolie, et si un appauvrissement d’origine toxique en libido du moi ne peut pas donner directement certaines formes de la maladie ». La mélancolie sans nature définissable, n’aurait aucune cause apparente… Jacques Hassoun dans La Cruauté mélancolique rappelle que « l’affection mélancolique est
un élément structurel du sujet, marquant l’impossibilité d’accomplir le deuil d’un objet ». Ce deuil impossible signe la « desintrication pulsionnelle qui est au principe même de la destruction mélancolique », et fait écho au deuil premier, qui est un moment fondateur du sujet. Ce deuil premier inaccompli, c’est celui de la « Chose » (la mère archaïque visée par l’inceste dans la terminologie lacanienne), de l’objet primordial perdu qu’il s’agira de retrouver à travers des leurres, des tenants-lieu (d’autres objets pulsionnels), en se confrontant toujours au vide. Le transfert en psychanalyse vise à constituer un objet qui permettrait au sujet d’en faire son deuil. De même, ajoute Hassoun, les œuvres artistiques marquées par la mélancolie sont une tentative pour créer un objet propre permettant aux artistes d’effectuer un travail de deuil, « deuil qui s’accomplit grâce au texte écrit, publié et donc offert à l’Autre. Cette activité, traversée par une sublime mélancolie, ne trouve pourtant pas sa résolution, comme si, à chaque fois, l’objet était La mélancolie, abîme du génie créatif incapable de se constituer ». Anne Juranville approfondit cette problématique : pour elle, la création rencontre nécessairement la mélancolie, et « en triomphe par un travail de deuil qui n’est pas une réparation ». L’œuvre mélancolique tourne obsessionnellement autour d’une béance qu’elle ne cesse de fuir et d’approcher, comme si elle revoulait éternellement une catastrophe qui est aussi sa condition : l’émergence d’un sens, dans l’acte de création qui produit du nouveau. L’expérience poétique s’apparente à la descente d’Orphée vers Eurydice, vers un point obscur qui fascine, une « région ancienne », dit Char, une « épreuve de l’impossibilité » et un « désastre », dit Blanchot. Aussi, la sublimation est-elle un processus de symbolisation singulière et de nature imprévisible, puisque créer, « c’est répéter la coupure dont pâtit la Chose pour se faire objet a, en inaugurant une nouvelle fois la scène primitive, l’advenue à l’existence comme sujet séparé, au prix d’une extrême détresse ». Ce qui surgit Philosophie pratique 21



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