Le Bonheur est en vous « corps splénique »), et à une sorte de fermentation en vase clos, dont l’issue est souvent tragique : folie, crime, suicide, damnation. Telle est la maladie dont souffrent les « malcontents » de Shakespeare, les fous, les jaloux, les envieux du drame élisabéthain ou baroque, les hypocondres et les atrabilaires de Molière. Connue surtout par le théâtre, par les mœurs et par la médecine d’Angleterre, elle réapparaît en France au début du XVIIIe siècle sous le nom de « maladie anglaise » et bientôt de « spleen ». Dans la peinture, elle est représentée par des figures féminines (la Vierge, Sapho). Dans tous les cas, les caractéristiques fondamentales de la mélancolie restent les mêmes : Prévost classe la « mélancolie hypocondriaque » parmi les « maladies saturniennes » et le spleen parmi les affections de la rate (Manuel lexique, 1750, art. « Maladies saturniennes » et « splénique »), le délire de Cleveland désigne « cette sorte de maladie qui est le plus mortel poison de l’âme parce que rien ne s’en répand au dehors et qu’elle s’enivre en quelques sorte en le dévorant tout entier » (Œuvres choisies de Prévost, éd. de 1810, V 386), enfin Diderot, « La mélancolie » : « C’est le sentiment habituel de notre imperfection. Elle est opposée à la gaieté qui naît du contentement de nous-mêmes rédige un éclairant article dans l’Encyclopédie, « La mélancolie » : « C’est le sentiment habituel de notre imperfection. Elle est opposée à la gaieté qui naît du contentement de nous-mêmes : elle est le plus souvent l’effet de la faiblesse de l’âme et des organes : elle l’est aussi des idées d’une certaine perfection, qu’on ne trouve ni en soi, ni dans les autres, ni dans les objets de ses plaisirs, ni dans la nature ; elle se plaît dans la méditation qui exerce assez les facultés de l’âme pour lui donner un sentiment doux de son existence, et qui en même temps la dérobe au trouble des passions, aux sensations vives qui la plongeraient dans l’épuisement. La mélancolie n’est point l’ennemie de la 18 Philosophie pratique volupté, elle se prête aux illusions de l’amour, et laisse savourer les plaisirs délicats de l’âme et des sens. L’amitié lui est nécessaire, elle s’attache à ce qu’elle aime, comme le lierre à l’ormeau. Le Féti la représente comme une femme qui a de la jeunesse et de l’embonpoint sans fraîcheur. Elle est entourée de livres épars, elle a sur la table des globes renversés et des instruments de mathématiques jetés confusément : un chien est attaché aux pieds de sa table ; elle médite profondément sur une tête de mort qu’elle tient entre ses mains. M. Vien l’a représentée sous l’emblème d’une femme très-jeune, mais maigre et abattue : elle est assise dans un fauteuil, dont le dos est opposé au jour ; on voit quelques livres et des instruments de musique dispersés dans sa chambre, des parfums brûlent à côté d’elle ; elle a sa tête appuyée d’une main, de l’autre elle tient une fleur, à laquelle elle ne fait pas attention ; ses yeux sont fixés à terre, et son âme toute en ellemême ne reçoit des objets qui l’environnent aucune impression. » Du tempérament à la maladie, de l’obsession à la psychose, c’est le cycle traditionnel, proprement infernal, de la mélancolie. On retrouvera la vieille mythologie saturnienne dans le roman noir, et les schémas de la médecine des humeurs persistent dans la psychophysiologie sensualiste. Quand Chateaubriand lui-même décrit « cette coupable mélancolie qui s’engendre au milieu des passions, lorsque ces passions, sans objet, se consument d’elles-mêmes dans un cœur solitaire » (Le Génie du Christianisme, 2e partie, III, 9, « Du vague des passions »), c’est encore la même tristesse insurmontable et morbide qu’il dépeint, le même cercle vicieux d’un mal qui s’empire lui-même, sous l’effet d’une volonté masochiste. Dans le domaine de la peinture, le paysage, qui jusque là composait le décor d’une scène, s’anime aussi d’affects mélancoliques, en imprègne les personnages qui l’habitent, et les diffuse auprès du spectateur. Outre cette profonde mélancolie, Jean Sgard, dans son article sur la mélancolie littéraire évoque également une mélancolie plus « douce », provenant elle aussi d’une « disposition des humeurs », mais tempérée, équili- |