Le Bonheur est en vous même s’il évoque les hommes politiques, les philosophes, il insiste surtout sur le génie des poètes (« Maracus le Syracusain », etc.). Si les poètes sont des hommes supérieurs c’est par Si les poètes sont des hommes supérieurs c’est par ce naturel mélancolique qui leur fait connaître, à la manière du vin, tous les degrés de caractères qu’un homme puisse vivre, le poète est hors de luimême, il est autre. ce naturel mélancolique qui leur fait connaître, à la manière du vin, tous les degrés de caractères qu’un homme puisse vivre, le poète est hors de lui-même, il est autre. Il n’est pas uniquement centré sur lui, il a le moyen et la capacité de sentir autrui, et les choses hors de lui. C’est un être polymorphe, qui ne peut supporter la sobriété terne, la trivialité morne de la vie et d’un quotidien trop placide. Il est sans cesse, dans son inconstance, poussé dans divers états, par son désir insatisfait et son besoin d’expression, à la distraction qui l’apaiserait. Il est en quelque sorte l’homme du divertissement, c’est pourquoi il est doué dans le domaine des arts ; il est l’homme du désir difficile à satisfaire, c’est pourquoi il a l’aptitude, l’exigence et le courage de continuer sa quête. Pour la même raison il est fragile, peut céder au contraste et à la violence, au changement, à la folie subite. Aristote semble nous dire que la créativité est une pulsion à être différent, à devenir autre, « à devenir tous les autres » comme le suggère J. Pigeaud. Aristote rejoint ici la définition de la folie, l’aliénation qui est une sortie de soi-même, le fait d’être hors de soi. La fragilité et l’inconstance de l’homme mélancolique lui donnent une mobilité, une dynamique propre à l’action, et la possibilité de s’exprimer de façon multiple. Cela ne veut pas dire que création et folie sont nécessairement liées. Mais entre le fou et l’être 14 Philosophie pratique doué il n’y a que peu de différence pour Aristote ; ce n’est qu’une différence de degré. L’être doué peut aisément mimer, et prendre les positions des autres en sachant se modeler facilement, alors que le fou sortant de luimême ne contrôle pas ses états : ce sont deux façons de devenir autre. C’est pour cela que Pigeaud dit que l’on peut être, par imitation, mimésis, « le chef, le citoyen, le stratège, le législateur, le poète, mais aussi l’univers entier ». Nous pourrions donc essayer de comprendre le point de vue de Pigeaud en rapprochant ce texte de la Poétique d’Aristote qui tente de réhabiliter l’imitation constituant le ressort de l’art du poète qui est une techné authentique. L’imitation n’est pas dénuée de connaissance, puisqu’il faut un effort de raisonnement de la part du spectateur pour reconnaître le modèle sous la représentation. Nous rejoignons alors Pigeaud pour affirmer que le tempérament mélancolique est le tempérament « métaphorique » qui tend à « contempler les semblables ». En outre, un élément très positif se dégage de cet art : la catharsis. Il s’agit de la purgation des passions que sont la frayeur et la pitié, la purgation de l’agitation que nous pouvons connaître. L’opération mimétique de la catharsis convertit les peines en plaisir. L’art a donc une puissance cognitive appréciable puisque la poésie met en évidence les ressemblances, les rapports entre les choses, et un pouvoir de tempérance. De même, la mélancolie est une puissance de création par la faculté d’être quasiment dans le même instant chaude et froide dans un comportement atypique et spécifique, et d’élévation du caractère au-dessus de la moyenne. Mais en même temps elle doit se tempérer, garder une température moyenne, autrement nous aurions à faire non pas à un homme de génie mais à un monstre. La régulation de la bile noire ne peut se faire que selon l’instant, il faut que s’accorde l’arrêt d’une poussée et la circonstance, l’état de la bile par double limitation (ni trop chaude, ni trop froide ; la chaleur en excès doit s’arrêter à un état moyen) et l’événement. Il peut donc exister un bon mélange de l’inconstance. Cet équilibre froid/chaud doit être spontané, aussi bien que l’équilibre entre le mélange de la bile du mo- |