118 # Cobàn est une petite ville pleine de couleurs. Les rues sont envahies par les marchands ambulants, des femmes y étalent leur récolte de bananes et de papayes. Après cette autarcie communautaire, je revis au contact du monde réel et à la découverte des coutumes locales. A plusieurs reprises, nous croisons certains de nos acolytes. Au supermarché, aux abords des guest-houses ou encore au débit internet où nombre d’entre-eux consultent leur compte facebook. Quelque chose me chiffonne et j’ai du mal à me défaire de l’idée qu’un tel quotidien n’est pas pérenne. Même si certains suivent les caravanes rainbow de pays en pays, et de mois en mois, une telle communauté ne me paraît viable que pour un temps donné. Le souvenir de cette expérience me semble surgir d’une illusion généralisée de l’idée du bonheur. Jamais un cri. Jamais un réel désaccord. Pas de chef ni de hiérarchie. Tout m’apparait maintenant comme irréel, impossible, parfois même incohérent et surtout, allant contre une nature humaine intrinsèquement combative. Les incessants emprunts à de multiples cultures, des prophéties mayas au rites amérindiens, du mouvement rastafari aux pratiques hindoues, apportent bien richesse et couleurs à l’Arc en Ciel, mais, pratiqués succinctement, participent aussi au vide d’une partie de son essence. Malgré les inévitables parallèles avec le mouvement hippie, les pratiques des Rainbows ne prônent cependant pas l’amour libre, et je n’ai vu ni orgies, ni totale décomplexion sexuelle. Comme s’il était tout simplement extrait le meilleur de chaque culture, en s’affranchissant de ses contraintes, l’idéologie Arc-en- Ciel m’apparait comme parfumée d’un arôme factice. Le refus non négociable de quelconque médiatisation ainsi que l’interdiction formelle des photographies, contre l’usage généralisé des réseaux sociaux, tout comme le refus du commerce monnayé sans lequel entre autres, les repas ne pourraient être préparés, l’interdiction de l’alcool et des drogues de synthèse face à la consommation tolérée d’herbe et de champignons hallucinogènes, m’apparaissent comme d’incompréhensibles paradoxes. Malgré cela, l’initiative est sincère, la beauté recherchée est générée, la nature est glorifiée, l’harmonie retrouvée. Parenthèse de tous les possibles, l’image d’un territoire de paix, de partage et d’amour est incontestablement recréé, dans un décor sublime fait de cascades sauvages et de papillons multicolores. Qu’à cela ne tienne, ce qui me reste de cette expérience est indubitablement la sensation d’avoir vécu, l’espace d’un temps, l’illusion que tout allait bien. Aï Estelle Barreyre |