Enquête 28 LES NOUVEAUX PERVERS L'intérêt grandissant d'une partie de la communauté queer pour le véganisme a poussé des chercheurs et des militants à s'interroger sur les liens entre les deux notions. Est-ce qu'être végan est queer ? Quel rapport entre une orientation amoureuse, un questionnement sur les identités de genre et la décision de ne pas consommer de produits issus de l'exploitation animale ? « Je suis gay et végan. Pour la plupart des gens, ces deux choses n'ont aucun rapport. Pour moi, le lien est limpide, explique Ari Solomon, de l'association de défense des animaux Mercy for Animais. Quand j'étais jeune, certaines personnes ont été cruelles avec moi simplement à cause de qui j'étais. C'est exactement ce qui se passe avec les animaux. Parce que les gens les perçoivent comme différents, ils les traitent avec mépris. Les animaux sont vulnérables et souvent sans défense. De nombreux enfants victimes de harcèlement peuvent en dire autant. » Dans son essai Queer Vegan Manifesto (2012), Rasmus R. Simonsen, qui enseigne à la School of Design and Technology de Copenhague, va même plus loin en établissant des liens entre le vécu des personnes LGBT et celui des végans : « Déclarer son véganisme peut presque être comparé au fait de faire son coming out pour une personne queer. Quand j'ai dit à mes parents que je devenais végan, ma mère a fondu en larmes en me disant "Comment vais-le pouvoir un four te faire de nouveau à manger ? " » Pour Sarah de Vicomte le coming out végan a même été « plus violent » que l'annonce de son homosexualité : « Ma mère me mentait sur la présence de viande dans les plats qu'elle me préparait et certaines personnes se « LES OUEERS CHERCHENT À ABOLIR LA BINARITÉ ENTRE LES GENRES. LES VÉGANS, EUX, CHERCHENT À ABOLIR LA BINARITE ENTRE HUMAINS ET NON HUMAINS. » sont montrées très méfiantes sur les réseaux sociaux. Quand tu dis que tu es homo, les gens ne le prennent pas pour eux, mais si tu ne manges pas de viande c'est comme si tu critiquais leur manière de manger. » Et si Simonsen met en garde contre une mise à égalité des stigmates liés au véganisme et à l'homosexualité, « parce que nous savons tous qui se retrouve le plus souvent du côté des victimes de crimes haineux », il considère que le végan est une sous-catégorie de pervers, au sens où l'entend Foucault dans son Histoire de la sexualité, c'est-à-dire un queer. Parce qu'il remet en cause l'ordre social établi et qu'il vient interroger ce qui, jusqu'ici, ne posait pas question. De la même manière que le prétendu « ordre naturel des choses » implique que les hommes aiment les femmes (et inversement), les humains sont censés être omnivores et donc manger de la viande. Pour Simonsen, le végan « ne désavoue pas seulement la nourriture animale, mais une forme d'être ensemble symbolisé par le dîner familial ». De là à dire que les végans remettent en question la culture patriarcale (qui préside le dîner familial ?) , il n'y a qu'un pas, que Simonsen, dans la lignée d'autres chercheurs, franchit avec enthousiasme : « Refuser de manger de la viande, n'implique pas seulement de prendre position contre la culture patriarcale, c'est aussi une manière de résister à la norme hétérosexuelle qui pèse sur la viande pour les hommes et, dans une moindre mesure, pour les femmes », écrit-il dans son manifeste. Oui, vous avez bien |