26 Enquête LA CONTRE-CULTURE QUI A RENDU CULTE LE CUIR VA-T-ELLE METTRE PIN À SON RÈGNE ? PAR HUGO LINDENBERG PHOTOS THOMAS DUVA [haque année 1 milliard d'animaux sont tués pour produire du cuir. Une industrie responsable de 18% des émissions de gaz à effet de serre. Mais peu de pollueurs ont su si parfaitement épouser les fantasmes d'une société pour faire oublier leurs méfaits Bad boys, punks, rebelles, bikers, rockeurs, folles à sac, fashionistas : le cuir réconcilie les adeptes de la contre-culture avec ceux de la culture de masse. Il règne même sans trop de partage sur la libido de l'Occident avec ses flics à moustache et ses dominatrices cravachées. Mais qui dit règne dit chute, et celle des peaux tannées semble inéluctable dans une société en quête d'éthique. La preuve, même ses adorateurs les plus soumis commencent à le lâcher : le cuir n'a plus la cote dans le milieu BDSM (les gens qui font comme dans so Shades of Grey). De Berlin à San Francisco, les capitales du genre, on voit fleurir les boutiques qui proposent de s'adonner aux plaisirs sado-maso garantis loo% sans souffrance animale. Un paradoxe pour une communauté qui fait commerce de la douleur ? Pas vraiment. LES SM PASSENT AU RÉGIME SANS CUIR COUPS ET PLAISIRS « L'idée de base du véganisme c'est de réduire la souffrance. Et le but du BDSM est de ne pas infliger à quelqu'un de souffrance qu'il n'aurait pas réclamée. Sans consentement, ce que nous faisons s'apparenterait à de la torture », explique Snow depuis Salt Lake City. Patronne de Vegan Boundary, une boutique dédiée au BDSM végan, elle a choisi le nylon tressé comme principale alternative : « Quand j'ai commencé à l'utiliser dans des shows fetish, certaines personnes ne voulaient pas en entendre parler. D'autres, au contraire, le trouvaient si ressemblant qu'ils le reniflaient pour vérifier que ce n'était pas du cuir. Notre persistance a payé et des gens qui levaient les yeux au ciel à l'idée de se passer de cuir font maintenant partie de nos meilleurs clients. » Comment une culture qui a érigé le cuir en zone érogène peut-elle imaginer s'en débarrasser ? Etre végan et BDSM, « c'est une façon d'élargir la notion de consentement mutuel à toutes les parties impliquées », explique Maria, de la boutique Justine & Juliette, en Suède, où le marquis de Sade s'habille en version « animal cruelty free » grâce au caoutchouc, à la LA COMMUNAUTÉ BDSM VÉGANE EST EN PLEIN BOOM ET BEAUCOUP DE SES MEMBRES SONT JEUNES ET QUEER » corde et aux cuirs végétaux. Des bons plans que s'échangent à l'envi, sur les forums végans BDSM, les pionniers d'une sexualité libre et responsable. Sur FetLife, le Facebook des « kinksters » (les amateurs de BDSM), des milliers d'utilisateurs réunis sur une grosse centaine de groupes dédiés à la question végane cherchent à articuler pratique SM et souci du bien-être animal. « A Stockholm, où nous vivons, la communauté BDSM végane est en plein boum, observe Maria, et beaucoup de ses membres sont jeunes et queer » Un hasard ? Pas vraiment non plus. « Politique, sexualité, bouffe : quand tu ouvres une porte, ça en ouvre inévitablement d'autres, raconte Sarah de Vicomte, vidéaste, réalisatrice de films porno, queer féministe et végane. Le fait d'être lesbienne m'a ouverte sur le féminisme, qui m'a ouverte sur la politique, qui m'a ouverte sur les mécanismes de domination, qui m'ont finalement ouverte sur le véganisme. Je ne suis pas devenue végane par amour des animaux mais par éthique. Ce ne sont pas les mêmes histoires mais les outils de déconstruction sont identiques et ils m'ont amenée à réfuter toute forme de souffrance et de domination. » |