( Dossier… CARTES EN BIBLIOTHÈQUE : NOUVEAUX USAGES, NOUVEAUX TERRITOIRES ) La carte n’est pas qu’une carte : de sa fabrique par intention à ses fabriques à réception La carte n’est pas qu’un objet documentaire, et ses modes d’appropriation sont aussi divers que ses usages et ses usagers. éÉcrire un article relatif aux cartes est complexe, qui plus est un article inaugural, donc panoramique et synthétique. En effet, si les cartes sont des synthèses visuelles, les problématiques qu’elles génèrent sont nombreuses, et n’intéressent pas que les cartographes et les géographes. Celles des cartothécaires sont classiques, liées au stockage, au catalogage, à la valorisation, mais elles sont toutes traversées par les singularités du document carte : ses formats déterminent son rangement, sa circulation ; ses valeurs informatives questionnent sa description, la pertinence des normes et des outils de recherche, ses appropriations ; ses attributs interrogent sa numérisation, sa diffusion. Les caractéristiques de la carte, document hybride et pluriel, influent sur les personnels qui en ont la charge quant à leurs missions et à la mise en œuvre de médiations favorisant des rencontres et des relations entre les cartes et les lecteurs. LA CARTE, UN DOCUMENT PLURIEL La carte n’est pas qu’une carte. Utilisée par les géographes pour illustrer leurs publications, elle est document cartographique, tout comme lors de son usage par un randonneur ou par un aménageur. Lors d’un cours de cartographie ou de commentaire de carte, elle est à la fois document cartographique et pédagogique, de la même manière que lorsqu’elle est sujet d’étude dans un cours sur la médiation culturelle ou documentaire. Elle peut aussi être une toute autre espèce de document, en fonction de la réception et de l’appropriation de ses contenus : document historique, mémoriel, patrimonial… surtout si on questionne tour à tour les techniques ou l’enseignement de la cartographie, une série de cartes, une campagne de levés, une institution, un éditeur… Elle est aussi document artistique, esthétique, décoratif. La carte est tout cela parce qu’elle est plurielle, à la fois représentation d’un territoire ou d’un phénomène, exercice technique, produit 04 Ar (abes)ques N°98 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2020 d’un langage spécifique, matérialisation de l’espace, modélisation, scène où sont déposés des symboles, mots et couleurs, image, tableau, œuvre d’art, matériel didactique, trace, témoignage. Elle est un document par intention, celle du cartographe, auteur d’un message destiné à des lecteurs, reçu différemment en fonction de ces derniers. Cette intention renvoie à la notion d’outil, pour les déplacements, l’administration, l’aide à la décision, la simulation, l’aménagement… Il peut y avoir concordance entre l’intention et l’usage, mais d’autres usages peuvent être suscités et accompagnés. C’est l’usager, le récepteur, qui fait le document lorsqu’il le questionne, lui reconnaît une signification. Cela peut être un objet (interroger les matériaux, les lignes graphiques) comme un document par intention, notablement lorsqu’il est sans usage, dormant, comme c’est le cas pour beaucoup de cartes, car c’est la réactivation de ses informations qui en fait un nouveau document. Les réceptions d’une carte peuvent ainsi être en rapport ou sans rapport avec l’intention de son auteur, d’où les multiples fonctions et fabriques de documents possibles. LE CARTOTHÉCAIRE N’EST PAS QU’UN BIBLIOTHÉCAIRE Si la carte n’est pas qu’une carte, le cartothécaire n’est pas qu’un bibliothécaire - ou du moins pas un bibliothécaire comme un autre. Se concentrant tout autant sur les publics que sur les documents, il doit imaginer des dispositifs pour favoriser le lien avec les usagers et susciter la création de sens et de savoirs. Or, du fait des nombreuses singularités des documents cartographiques, les cartothécaires, au même titre que leurs collègues chargés de collections qui sortent du périmètre traditionnel du livre, développent depuis plus de vingt ans des solutions pour les sortir de l’ombre en s’appuyant notamment sur les possibilités que leur offrent le numérique et le Web en matière de visibilité. Les cartothécaires sont dans cette dynamique, induite par le caractère atypique de leurs collections, caractère qu’ils assument et défendent. Même si les cartes représentent indéniablement un patrimoine riche et foisonnant, reconnu comme tel puisque faisant partie d’un univers propre, partagé avec les images, sur le catalogue général de la Bibliothèque nationale de France, elles représentent aussi des contraintes. On l’a noté en introduction, la carte n’est pas facile à stocker, à ranger, à déplacer. Elle est complexe à traiter, peu aisée à équiper, et sa circulation engendre des complications. Elle est synonyme d’exception, d’adaptation, de procédure distincte. Elle fait, de plus, souvent partie d’un ensemble vaste, composé de plusieurs milliers de feuilles, situé dans des meubles encombrants peuplant des magasins, et nécessite encore dans beaucoup de cas une rétroconversion fastidieuse. La carte n’est ainsi pas seulement une concurrente en termes de place pour les autres documents, elle l’est aussi en termes de temps, ce pour quoi il faut aussi faire de la médiation en interne à son sujet, pour convaincre les autres professionnels de l’intérêt de son traitement. Les cartothécaires sont, heureusement, des professionnels passionnés, qualité indispensable pour collecter, rassembler, mettre à disposition, promouvoir les cartes, mais aussi faire valoir les spécificités de leurs missions cartothéconomiques. Dans ce contexte, on comprend pourquoi le cartothécaire est un extra-bibliothécaire. UNE CARTOTHÈQUE N’EST PAS QU’UNE CARTOTHÈQUE Les défis des cartothécaires sont donc nombreux, dont le premier est la valorisation de plusieurs milliers de documents hors normes. Pour les signaler aux potentiels utilisateurs, ils s’engagent dans plusieurs voies : les inscrire dans les catalogues existants, tenter de faire progresser les normes qui ne tiennent pas compte des spécificités et données propres |